mardi 27 avril 2010

Il est parti où le printemps?

Non mais c'est quoi ce temps?

La température a dégringolé de plus de quinze degrés en vingt-quatre heures, et il neige depuis ce matin (quelques photos sur le site de La Presse).

Et ce n'est pas de la belle neige d'hiver, sèche, qui glisse sur les vêtements. Non, c'est de la neige de printemps, de la neige mouillée qui colle aux fringues et transforme le moindre tissu en serpillière. Sans compter les 3 centimètres de sloche qui recouvrent les trottoirs.

Heureusement je n'avais rangé ni les bottes ni la doudoune.

J'ai au moins pu apprendre un mot nouveau: "la neige a pas slaqué depuis à matin" (la neige ne s'est pas arrêtée/n'a pas ralenti depuis ce matin).

Ça devrait s'améliorer dès demain selon Environnement Canada. Ouf.

dimanche 25 avril 2010

Les Disparus de Monte Angelo


Les Disparus de Monte Angelo (titre original Gränslandet), Thomas Kanger, Presses de la Cité coll. Sang d'encre, 2010, 261 pages. Traduit du suédois par Terje Sinding.

Le roman commence mal pour Elina Wiik. Elle ne va pas bien. Elle s'étiole lentement mais sûrement dans ses fonctions au commissariat de Västerås. Elle réalise un matin qu'elle n'est tout simplement plus capable d'affronter la routine quotidienne. Elle boucle alors sa valise, prend sa voiture, et roule au hasard en direction du sud.

Le bout de la route s'appelle Monte Angelo; c'est un petit village du sud de l'Italie. Des gestes et quelques mots d'anglais lui suffisent pour louer une chambre et commencer sa convalescence. Elina se repose, se promène, se régale de bons petits plats locaux. Et tombe amoureuse. L'objet de sa passion s'appelle Alex Niro. C'est un homme dont elle ne sait quasiment rien, mais le courant passe à merveille entre la Suédoise déprimée et le bel inconnu.

Les bonnes choses ont une fin, c'est bien connu. Mais découvrir son amant dans une mare de sang n'est pas la meilleure façon de terminer une relation. Hélas pour Elina Wiik, c'est pourtant ce qui lui arrive. Rapidement disculpée par ses collègues italiens, elle décide de rentrer en Suède, brisée par le chagrin. Mais elle n'est plus seule sur le chemin du retour: sa rencontre avec Alex aura été courte mais pas sans conséquence. Elina est enceinte...

Deux ans après ces événements, Wiik prend la décision d'enquêter personnellement sur le meurtre, mais surtout sur le passé d'Alex. L'enfant, une fois grande, voudra en effet savoir qui était son père. Le problème, c'est qu'Alex Niro n'existe pas. L'homme qu'elle a connu vivait sous une fausse identité. Qui était-il vraiment? Pourquoi a-t-il été tué? Wiik a peur de ce que pourraient être les réponses mais elle est bien déterminée à les obtenir.

* * *

Je l'avoue d'emblée, Les Disparus de Monte Angelo m'a un peu déçu. Il souffre, selon moi, de la comparaison avec le précédent bouquin (Le Temps du loup) qui m'avait beaucoup plu.

Il y a quelques aspects étranges dans le récit, un petit côté onirique parfois et une fin très étonnante (pour un polar) qui devraient pourtant m'enchanter, mais je ne suis pas arrivé à m'immerger pleinement dans l'histoire. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Peut-être à cause de quelques invraisemblances et situations tirées par les cheveux; peut-être parce que la guerre des Balkans est présentée d'une manière parfois un peu trop didactique par l'auteur, journaliste de profession; peut-être et surtout parce que je m'attendais à un récit aussi haletant que Le Temps du loup.

Les Disparus de Monte Angelo a néanmoins des atouts. Il propose notamment une réflexion sur les leçons de l'Histoire (les retient-on vraiment?), la complexité humaine (une victime peut-elle devenir bourreau, et vice-versa), le cercle sans fin de la vengeance. Le tout est illustré par les guerres fratricides au sein de l'ex-Yougoslavie, plus particulièrement par le conflit entre Serbes et Croates dans la région de la Krajina.

Ce mot, Krajina, peut se traduire par "région frontalière" (cf. Wikipedia), d'où le titre original de l'ouvrage: Gränslandet (gräns = frontière, land = pays). La photo de couverture de l'édition française a un rapport évident avec la notion de frontière, mais l'éditeur a fait le choix d'un titre plus évocateur.

* * *

Ajout du 5 octobre: je découvre un avis intéressant dans la revue Alibis (numéro 35, pp. 139-140). Leur critique est bien plus enthousiaste que la mienne, ça me fait donc très plaisir de répercuter leur opinion. Extrait: "Cette enquête souvent frustrante, voire dangereuse, est doublée d'une leçon d'histoire (...) En lisant ce polar de Kanger, on finit par saisir un peu mieux les enjeux géopolitiques, ethniques et religieux, de ce conflit absurde et incompréhensible, riche en massacres et en atrocités de tous genres! (...) Les Disparus de Monte Angelo est une œuvre intense, avec un personnage central doté d'une forte personnalité et dont on attend le retour avec impatience."

jeudi 22 avril 2010

Séries - Thomas Kanger

code couleurs: suédois / français. Pas de traduction anglaise à ce jour.
Éditeur français: Presses de la Cité. Traducteur Terje Sinding.

Série Elina Wiik
  1. Första stenen, 2001
  2. Sjung som en fågel, 2002
  3. Den döda vinkeln, 2003
  4. Söndagsmannen, 2004 (n) / Le temps du loup, 2009 (billet)
  5. Gränslandet, 2007 (n) / Les disparus de Monte Angelo, 2010 (billet)
  6. Drakens år, 2011

(n) nominé pour le prix du meilleur roman policier de l'année en Suède.

mercredi 21 avril 2010

Tag: une histoire de PAL

Allons bon, me suis fait tagué par Canel! Le jeu consiste à raconter une courte histoire avec les titres qui s'accumulent dans la PAL:
"Après plusieurs heures sur la route j'ai hâte d'arriver à Chicago, à temps pour la bar-mistva de Samuel qui aura lieu le week-end prochain. J'ai réservé la chambre numéro 10 au motel "Les pieds dans l'eau", pas loin de la place dite du Carré de la vengeance.
Le motel sert de lieu de travail à une pute toujours à l'affût de la meilleure part des hommes: leur portefeuille. Alors que je fume sur le porche en admirant la lune qui trône au zénith, elle sort de sa chambre en hurlant; un type gît inconscient sur son lit. Je m'approche pour voir si le cœur bat encore. Tout va bien, l'heureux homme est juste dans les vapes.
Un peu plus tard je demande à la fille comment elle s'appelle. "Je ne porte pas mon nom sur ma peau, chéri!" me répond-elle en tapotant le bonhomme de neige qui monte la garde devant le motel.
La pute est aguichante mais je dois me lever tôt demain pour déjouer le complot contre l'Amérique et interviewer Jan Karski s'il me reste du temps. Je vais donc sagement me coucher, seul."
THE END.
Eh bien... c'est décourageant de faire une liste de toute cette lecture en retard!

Pour me venger, je tague Nancy (ici et ), si tu veux bien. Tu pourras t'y mettre lorsque tu auras fini tes révisions, héhé... Si quelqu'un d'autre se sent inspiré par l'épreuve il est libre de prendre le relais!

dimanche 18 avril 2010

Un cri si lointain - Autopsie d'un neurasthénique

Un cri si lointain (titre original Rop från lång avstånd), Åke Edwardson, 10/18, 2004, 520 pages (première édition JC Lattès 2003). Traduit du suédois par Anna Gibson. Deuxième enquête du commissaire Erik Winter.
- Alors mon cher Zig, qu'as-tu pensé de ce roman?
- Que dis-tu?
- Un cri si lointain, qu'en as-tu pensé?
- Que peut-on penser d'un cri...
- Qu'il est proche. Ou lointain.
- Ou trop faible pour être entendu par les secours?
- Oui.
- Je ne sais pas. Je...
- Tu n'as pas aimé.
- Quoi?
- Tu as détesté, avoue-le. Vas-tu avouer?
- Calme-toi, Zag. Tu te trompes.
- Donc tu as aimé.
- Tu simplifies, comme toujours.
- Je ne vois vr...
- [l'interrompant] Il fait chaud encore aujourd'hui.
- Oui.
- L'air brûle les poumons.
- Et les cerveaux, Zig, et les cerveaux.
- Est-ce qu'il reste du café?

Voilà à quoi pourrait ressembler le début d'un billet sur Un cri si lointain, rédigé sous la forme d'un petit dialogue "à la Winter".

La lecture de ce bouquin m'a rappelé quelques films vus il y a une centaine d'années (environ) dans le cadre d'une rétrospective Ingmar Bergman. Le polar d'Edwardson est sans doute le plus "bergmanien" des romans que j'ai eu l'occasion de lire depuis l'ouverture de ce blog. Ce n'est pas nécessairement un compliment, et certainement pas un reproche. Mais le lecteur a un petit effort à fournir. Il faut accepter de s'immerger dans l'histoire (lente) et les ruminations (fréquentes) du plus neurasthénique des enquêteurs scandinaves. À côté d'Erik Winter, Erlendur Sveinsson est un jovial boute-en-train...

Au départ, il y a bien sûr un cadavre. Celui d'une femme dans la petite trentaine. Blonde. Inconnue. Abandonnée dans un fossé, quelque part à l'est de Göteborg. Erik Winter interrompt ses courtes vacances (bien que riche, il s'ennuie très vite) pour commencer une longue enquête sur la mystérieuse femme et son passé. Un élément inquiétant est révélé par l'autopsie: la victime a eu au moins un enfant. Qui et où sont-ils?

* * *

L'intrigue ne manque pas d'intérêt, mais les 520 pages du récit abordent bien d'autres sujets. À commencer par le flic, Winter, que l'on suit jusque sous la douche (l'été suédois est toujours caniculaire... dans les polars). Il s'habille chic grâce à Armani, Cerutti, Tutti Quanti, mais il n'y a rien de chic dans sa façon de voir le monde qui l'entoure.

"Les lumières de la ville se devinaient vingt kilomètres plus loin à travers la pluie fine et la matinée grise, comme de la pisse sur une neige sale."

Ses déboires amoureux sont assez amusants (si on les compare au reste du récit). Angela veut une vraie vie de couple, Winter ne souhaite pas changer ses habitudes de célibataire et s'accommode très bien de leurs rencontres épisodiques. Il se transforme en anguille dès qu'Angela aborde la question. C'est un champion de la réponse monosyllabique et du changement de sujet.

Pour un flic comme Winter, toute festivité est cause de problèmes, toute manifestation une source de désordre et de violence. La vue d'une pancarte de revendication provoque chez lui une crise de pessimisme. En fait, il ne rate jamais une occasion de méditer sur l'état de délabrement de la société suédoise. On retrouve ici la thématique "critique sociale" tant appréciée chez les auteurs de polars scandinaves, mais poussée à un degré tel qu'elle perd parfois de sa pertinence. Un passage m'a quelque peu agacé: un immigrant kurde dont la demande d'asile a été refusée prend un enfant en otage (on trouve une scène très semblable au début du Misterioso d'Arne Dahl). Un événement de ce genre a peut-être eu lieu en Suède à cette époque (Un cri si lointain a été publié en 1998, Misterioso en 1999) mais le désir de dénoncer l'indifférence bureaucratique des institutions suédoises aboutit finalement à une caricature... des Kurdes.

Ces petites maladresses ne doivent pas cacher l'essentiel: un polar lent et lourd qui plaira aux amateurs de spleen policier.

jeudi 15 avril 2010

Parution du troisième Theorin en Suède


Ce jeudi 15 avril sort en Suède le troisième polar de Johan Theorin : Blodläge. Il s'agit du roman du printemps dans la série "saisonnière" mettant en scène Gerlof Davidsson, vieux marin retraité sur l'île d'Öland.

Les lecteurs impatients ont même eu droit à la bande-annonce. Il y est question d'une ancienne légende ölandaise.

Les tailleurs de pierre d'Öland ont jadis donné des noms à certaines strates du sous-sol. C'était pratique pour se repérer. Une fine couche très rouge qui court au sein du calcaire a reçu le nom de blodläge (la couche sanglante). Selon la légende, cette blodläge s'est formée il y fort longtemps, à l'époque des guerres entre fées et trolls. Le sang versé durant ce conflit s'est pétrifié pour former cette couche rougeâtre, désormais célèbre en Suède grâce à Johan Theorin.

La bande-annonce affirme que la lutte entre le bien et le mal se poursuit aujourd'hui encore, et qu'au cours de ce printemps sur Öland la vie de plusieurs personnages sera définitivement transformée...

Vidéos (suédois; pas de sous-titres)
  • vidéo #1, entrevue [la place d'Öland dans les récits (à la fois personnage et scène); Gerlof inspiré par le grand-père maternel (décédé lorsque l'auteur avait 11 ans?); souvenir des histoires transmises par la famille ölandaise de l'auteur (exemple de l'arrière grand-mère qui racontait avoir vu un lutin -tomte- sur le rivage); choix du polar comme genre littéraire; anecdote à l'origine de Nils Kant; légende de la "blodläge"]
  • vidéo #2, exposé [les deux premiers romans]

Articles
  • Gunilla Wedding a commencé sa lecture avec un mélange d'excitation et d'anxiété: "Je lis tout doucement. Je fais des pauses et laisse le livre sur la table basse ou bien sur la pile à côté de mon lit. J'ai terriblement peur d'être déçue, et plus encore d'arriver trop vite au bout de ma lecture. Il en est ainsi avec les livres dont on espère beaucoup, les livres que l'on a attendus impatiemment". Critique annoncée pour le 29/04.
  • divers liens @ Svensk bokhandel;
  • Magnus Persson @ Svenska dagbladet;
  • Jonas Thente @ Dagens nyheter;
  • Helena @ Bokhora;
  • Sara @ Deckarhuset;
  • Sara Ullberg @ Svenska Dagbladet "I Johan Theorins deckare är morden egentligen sekundära", "[Theorin] har hållit på med löpningen i 30 år, det är en sorts meditation att vara ute och springa" ;
  • Jonas Brefält @ Värmlands Folkblad;
  • À suivre...

lundi 12 avril 2010

Quai du polar : les récits tant attendus

Tandis que le public semble avoir été majoritairement féminin, les chromosomes Y dominaient du côté des auteurs. Cela n'a pas déplu aux visiteuses, si j'en crois les réactions envers un certain écrivain...

Voici le compte-rendu de Kathel (avec photos) qui comprend des liens vers quelques sites de fans de Jasper Fforde bouquins.

Ces petits reportages m'ont permis d'apprendre, parmi bien d'autres choses:
  • que le métier d'écrivain peut être dangereux (Pierre Lemaître l'a échappé belle, mais il a pu se consoler avec son prix du polar européen décerné par Le Point)
  • que Johan Theorin a une fille qui parle très bien français
  • que Jasper Fforde a la cote auprès des blogueuses. Je cite divers commentaires: "Hiiiiiiiiii, Jasper !!", "Aaaaah, Jasper Fforde!!", "j'ai rencontré Jaspeeeeer !!!", "Je ne me remets pas d'avoir rencontré Jasper Fforde", etc. Voilà un auteur qui fait l'unanimité!
  • que le Palais du Commerce de Lyon est bien beau
Ceux qui ne pouvaient pas y être peuvent se consoler grâce aux photos et récits de Kathel, Soukee, Pickwick... merci pour ces billets!

samedi 10 avril 2010

Sauveur des nains, puisse ton feu consumer le monde entier!

Il y a bien longtemps de cela, un correspondant suédois m'offrait un petit bouquin tout simple. Son titre, Dvärgen (Le nain). Son auteur: Pär Lagerkvist. Première publication en Suède: 1944. Ma toute première lecture "intégrale" en suédois. Il m'en a fait baver, ce Nain! Je ne comprenais pas toutes les phrases mais j'ai vite saisi une chose: j'avais entre les mains un chef-d'œuvre.

Je ne sais pas ce qu'est devenu le livre, d'un déménagement à l'autre...

Presque par hasard je suis tombé cette semaine sur une édition française (Stock, coll. La Cosmopolite, 270 pages) à prix raisonnable en Europe (8.40 euros) et un peu moins au Canada (15.95$).

Le récit se présente comme l'autobiographie d'un nain de cour en Italie à l'époque de la Renaissance. Vendu par sa mère après sa naissance, esclave voué à l'amusement du prince, solitaire et privé d'amour sa vie durant, intelligent et sans pitié, cet étonnant narrateur déborde d'une rage qu'il a parfois du mal à maîtriser (il aura d'ailleurs l'occasion de séjourner dans les geôles de son maître).

Je ne prévois pas de commentaire détaillé pour le moment car je vais prendre le temps de le relire très, très tranquillement. Voici le premier paragraphe (le titre de ce billet est également extrait du roman):
"Je mesure vingt-six pouces, mais je suis parfaitement bâti, avec les proportions requises, sauf que j'ai la tête trop forte. Au lieu d'être noirs comme ceux des autres, mais cheveux sont roux, très épais et très raides, rejetés en arrière des tempes et d'un front plus frappant par la largeur que par la hauteur. Ma figure est imberbe ; à part cela, elle ressemble à celle de tous les hommes. Mes sourcils se rejoignent. J'ai une force physique considérable, surtout quand je suis en colère. Lorsqu'on nous fit lutter, Josaphat et moi, je le mis sur le dos au bout de vingt minutes et l'étranglai. Depuis, je suis le seul nain à la cour."

lundi 5 avril 2010

La Librairie des ombres : lecture sous haute tension


La Librairie des ombres (titre original Libri di Luca), Mikkel Birkegaard, Éd. Fleuve Noir, 2010, 451 pages. Traduit du danois par Inès Jorgensen.

Cet ouvrage n'est pas un roman policier. C'est une œuvre de science-fiction / fantastique, mais avec une petite saveur de polar puisqu'il y a bel et bien un crime et une enquête.
"Nichée au cœur de Copenhague se trouve une vieille librairie au nom italien : Libri di Luca. Son propriétaire, Luca Campelli, vient de mourir de manière très abrupte et pour le moins... étrange. C'est Jon, son fils, avec qui il a rompu tout contact depuis 20 ans, qui hérite du magasin. Entraîné malgré lui dans l'histoire familiale, Jon découvre bientôt que cette librairie renferme un secret fabuleux." (site de Fleuve Noir)
C'est ce fameux secret qui nous plonge dans une réalité alternative. Dans l'univers du roman de Birkegaard, les livres et leurs lecteurs sont parfois très spéciaux. Pour ces êtres qui se surnomment les Lettore, la lecture peut devenir une expérience particulièrement puissante... et inquiétante.

C'est ce que va découvrir le fils, Jon, avec l'aide des plus proches amis de Luca: Iversen, qui était aussi employé à Libri di Luca, et la belle Katherina. Tout d'abord sceptique (les Lettore vivent dans le plus grand secret par crainte des persécutions) Jon se retrouve mêlé aux petites guerres internes des Lettore. Ceux-ci se répartissent en deux groupes principaux: les "émetteurs", dont les pouvoirs se manifestent lorsqu'ils lisent un texte à haute voix, et les "récepteurs" qui sont télépathes et peuvent s'insinuer dans les pensées de tout lecteur situé à proximité.

Luca est mort d'une manière qui trahit l'action d'un récepteur, ce qui attise la méfiance du clan des émetteurs... Jon -émetteur potentiel- va être chargé de mener une enquête au sein des Lettore, et il choisit une réceptrice, Katherina, pour l'assister.

Le duo découvre rapidement que le meurtre du vieux libraire cache bien plus qu'une querelle entre émetteurs et récepteurs...

* * *

L'aspect fantastique / paranormal du roman ne plaira pas à tout le monde, d'autant plus que les pouvoirs dont il est question ne sont guère discrets. Jon se révèle -bien évidemment- être un super-lettore et on a donc droit à des étincelles, des incendies spontanés, etc. J'aurais préféré des effets moins tape-à-l'œil.

Autre gros bémol, l'univers de La Librairie des ombres est manichéen au possible. Tout est blanc ou noir. Pas la moindre teinte de gris. Les gentils sont très gentils, les méchants très méchants mais patauds, et l'identité de l'inévitable traître n'est pas difficile à deviner.

À mon avis ce roman conviendrait plus particulièrement à un public "jeune adulte", disons à partir de 16 ans jusqu'à... (on peut aimer les récits merveilleux et gentillets à n'importe quel âge, après tout).

La Libraire des ombres a toutefois des atouts. Tout d'abord l'idée de transformer des obsédés de bouquins en superhéros dotés de pouvoirs étonnants. Cette mamie à lunettes en train de faire la lecture à de jeunes enfants? Une émettrice douée qui utilise son talent pour captiver et enchanter son auditoire. Cette jeune femme qui regarde distraitement par la fenêtre du bus alors que vous lisez le dernier Coben? En fait, elle est en train de lire vos pensées et de profiter de votre lecture; si l'histoire lui plaît elle vous aidera même à vous concentrer... mais vous risquez de rater votre arrêt.

Autre côté sympathique, un clair parti-pris en faveur des vrais livres. Les Lettore n'ont que faire des iPad et autres Wireless Reading Devices. Seuls les livres d'encre et de papier leur "parlent".

Il y a enfin l'aspect moral du récit. La Librairie des ombres met en scène des personnages qui utilisent leurs aptitudes dans un sens altruiste (ou du moins qui évitent soigneusement de ne pas nuire à autrui), et d'autres qui agissent dans le but d'accroître leur pouvoir et leur richesse sans la moindre considération pour la vie des autres. Les pouvoirs des Lettore sont imaginaires mais il n'est pas difficile d'extrapoler cette fable morale à d'autres types de compétences (médicales, scientifiques, technologiques, etc.)

Ce roman est à mon avis une bonne alternative à tous ces héros buveurs de sang qui encombrent les rayons de la littérature pour ados.

* * *

Mikkel Birkegaard, encouragé par le succès de ce premier roman, a publié un deuxième ouvrage en 2009, Over mit lig. L'histoire d'un auteur de romans d'horreur qui découvre une ressemblance inexplicable entre un meurtre et le contenu du manuscrit sur lequel il travaille. Manuscrit que personne ne connaît à part lui. Son imagination influencerait-elle la réalité? Suspense...

[Merci à Suzanne et Fleuve Noir pour la découverte de ce nouvel auteur.]

dimanche 4 avril 2010

Lisbeth and The American Dream

Vu sur le site du New York Times: Millénium 1 & 2 occupent les deux premières places des meilleurs vendeurs aux USA, catégorie "fiction en livre de poche".



Le premier volume est présent dans cette liste depuis 40 semaines, ce qui n'est pas mal.

Je suis bien content du succès de Millénium aux States mais j'espère que ça ne va pas donner l'idée aux auteurs (et éditeurs!) scandinaves d'écrire dans le but de cartonner sur le marché américain...

samedi 3 avril 2010

Et la terre mettra à jour le sang versé


Det blod som spillts, Åsa Larsson, publié par Albert Bonnier en 2004. Éditions format poche 2005, 2009, 405 pages.

Deuxième roman de la série Rebecka Martinsson. Pas encore traduit en français, mais disponible en anglais sous le titre The Blood Spilt (ainsi qu'en espagnol).

Il est recommandé de lire Horreur boréale avant de s'attaquer à ce roman (lorsque Gallimard se décidera à le traduire en français, bien sûr) car Det blod som spillts fait référence au dénouement du premier bouquin.

* * *
Retour en Laponie


Deux ans après la conclusion fracassante d'Horreur boréale, Rebecka Martinsson vit toujours à Stockholm. Elle subit, avec retard, les conséquences des événements dramatiques vécus à Kiruna. Le moral en berne, dépressive et incapable de remplir correctement ses fonctions d'avocate spécialisée en droit fiscal, elle doit prendre un long congé maladie.

Un projet de contrat entre l'Église de Suède à Kiruna (1) et le cabinet d'avocats où travaille Rebecka est l'occasion de reprendre tout doucement contact avec le boulot et de confronter les sombres souvenirs associés à sa ville natale. Elle accepte d'accompagner un de ses patrons dans le Nord afin de séduire les chefs de la paroisse et les convaincre de signer l'entente.

Rebecka ignore toutefois que quelques semaines avant son retour à Kiruna, un meurtre (qui ressemble beaucoup à celui de Viktor Strandgård) a été commis la veille du solstice d'été.

Le corps de Mildred Nilsson, pasteure au sein de l'Église luthérienne de Suède, a été découvert le 21 juin dans la petite église de Jukkasjärvi (une localité proche de Kiruna, cliquer sur la carte) où elle officiait depuis plusieurs années.

Les policiers Anna-Maria Mella et Sven-Erik Stålnacke mènent l'enquête.

* * *

Comme tout bon polar, Det blod som spillts propose un casting varié et des situations tendues, riches en conflits potentiels. L'auteur puise aux sources éternelles de la littérature (l'amour, la haine, le désir) tout en abordant des sujets d'actualité (écologisme, égalité hommes-femmes, évolution et rôle des églises, etc.)

Qu'on en juge: Mildred Nilsson était la seule femme parmi les pasteurs de la paroisse, féministe qui plus est, très franche dans ses rapports avec ses ouailles comme avec les autres pasteurs. Elle avait insisté pour que Nalle, un jeune homme handicapé mental qui vit seul avec un père retraité, fasse sa confirmation, comme les autres jeunes. Les paroissiennes regroupées au sein de l'association Magdalena (qui vient en aide aux femmes battues ou économiquement dépendantes) étaient décrites par certains mâles de la paroisse comme une menaçante kvinnomaffia ("mafia de femmes"). Pour ces femmes Mildred était une aide précieuse, une inspiration; pour d'autres elle était une briseuse de ménages.

L'active pasteure avait également mis sur pied une Fondation dans le but de protéger une louve solitaire (2) qui vagabonde entre la Suède et la Finlande. Le conflit est ouvert entre pro-loups et anti-loups, tandis que le kyrkoherde (le pasteur en charge de la paroisse, patron de Mildred) s'efforce de ne se mettre personne à dos... surtout pas le petit club de chasse 100% masculin qui loue depuis des décennies et pour une somme dérisoire les giboyeuses terres de l'Église. Comme dans Horreur boréale, les "bons bergers" de ce roman sont volontiers hypocrites et furieusement carriéristes.

Mais le portrait de Mildred qui se dessine au cours de l'enquête n'est pas entièrement blanc comme neige et ses détracteurs n'étaient peut-être pas les seuls à lui en vouloir. Que penser du mari par exemple? En aurait-il eu assez de s'occuper de la maison pendant que sa femme se consacrait à de multiples projets et activités?

C'est un autre aspect intéressant du roman d'Åsa Larsson; les personnages ont plusieurs facettes et évoluent avec le temps. Le dévouement et la bonté s'accompagnent parfois d'un désir de contrôle. L'être aimant qui nous entoure de son affection dissimule peut-être une menace mortelle. La réussite sociale peut cacher une enfance malheureuse source de souffrance secrète. Le sens du devoir peut virer à la paranoïa ou à l'agressivité, etc...

* * *
Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate

Rebecka Martinsson, empêtrée dans la dépression, traverse ce roman comme un caillou le lit d'une rivière. Elle spirale vers le fond. Portée par des événements qu'elle ne peut guère influencer, son rôle est beaucoup plus passif que dans Horreur boréale.

Quant aux scènes bucoliques, à l'exotisme de la Laponie (Mildred Nilsson est assassinée dans la nuit du 21 juin, date à laquelle il fait jour 24h sur 24h), au contact avec la nature, aux chiens qui gambadent et aux oiseaux qui gazouillent, il ne faut pas s'y fier. Le sang répandu a éveillé l'appétit d'un insatiable Moloch, indifférent à la détresse des vivants.

Det blod som spillts est un roman très pessimiste, mais on ne s'en rend pas compte immédiatement. L'auteur dresse le piège, place ses leurres, puis laisse le lecteur insouciant s'approcher. Et soudain -CLAC!- on se retrouve à deux doigts de chialer comme un bébé au détour d'une page.

* * *
Jesaja 26,21

Le titre, Det blod som spillts, est tiré du livre d'Isaïe/Esaïe (Jesaja, en suédois) chapitre 26, verset 21:
Ty Herren drar ut från sin boning
för att straffa jordens folk för deras synd,
och jorden skall blotta det blod som spillts,
inte längre dölja de dräpta.
Il existe plusieurs éditions de la Bible en français; voici donc Isaïe 26,21 dans la Bible dite "du Semeur":
Car l'Éternel va sortir de sa résidence
pour faire payer leurs péchés aux habitants du monde,
et, ce jour-là, la terre mettra à jour le sang versé sur elle
et ne cachera plus les victimes qu'elle dissimulait.
Le fol optimisme d'Isaïe va très bien avec ce roman, que je classe parmi les "vraiment bons polars", à la limite du coup de cœur. Je me réserve d'ailleurs la possibilité de le faire grimper dans cette catégorie, par exemple lors d'une prochaine lecture en français (allez hop, Monsieur Gallimard, un effort!)

Det blod som spillts a été désigné meilleur polar suédois de l'année 2004 par la Svenska deckarakademin.

* * *
Jukkasjärvi

Le village de Jukkasjärvi est situé dans la commune de Kiruna, sur les rives du fleuve Torne. Il est célèbre dans le monde entier depuis la création du Ice Hotel, l'Hôtel de glace où l'on peut boire, dormir, et même se marier!

Åsa Larsson raconte dans la petite annexe qui clôt le bouquin que c'est lors d'une visite de la pittoresque église de bois de Jukkasjärvi qu'est né le personnage de Mildred Nilsson (cliquer sur l'onglet "Kyrkorna", puis sur "Jukkasjärvi kyrka" dans le menu à gauche). Le corps dans son cercueil visible sur le site indiqué en lien (3) n'a rien à voir avec un meurtre. Visiblement les protestants eux aussi aimaient bien, à l'occasion, se faire inhumer sous leur lieu de culte favori. Un premier corps a été découvert sous le plancher de l'église de Jukkasjärvi durant des rénovations en 1907. Des recherches plus approfondies en 1947 ont mis au jour 86 corps ensevelis sous le bâtiment.

Le genre d'endroit où l'on espère que les bruits dans le plancher sont vraiment causés par des souris...


---NOTES---
(1) Ce n'est pas la même organisation que dans le précédent roman. Horreur boréale faisait intervenir les membres et dirigeants d'une église évangélique dite "libre". Dans Det blod som spillts il est question d'une paroisse au sein de l'Église suédoise (Svenska kyrkan). Cette institution religieuse (divisée en 13 diocèses et de multiples paroisses) avait jadis le statut d'église d'État. Ses pasteurs et fidèles sont de tradition luthérienne.

(2) L'auteur a eu la bonne idée de faire de cette louve (surnommée Gula Ben, "jambes jaunes", à cause de la couleur du pelage de ses pattes) un personnage à part entière que l'on découvre dans de très courts chapitres.


(3) Il s'agit du site Internet de la paroisse de Jukkasjärvi. Voir aussi kirunalapland.se


[Participe au challenge Lire en VO]


jeudi 1 avril 2010

Maudits chanceux, les Lyonnais!

La belle ville de Lyon organise le festival des Quais du Polar du 9 au 11 avril.

Du très beau monde au menu: Mo Hayder, Ian Rankin, Deon Meyer, etc.

Et... last but not least (ou plutôt sist men inte minst) Johan Theorin soi-même, auteur de L'Heure trouble et L'Écho des morts.

Johan Theorin © photo Laurent Denimal(© photo Laurent Denimal - avec l'aimable autorisation du photographe)


Je trépigne de jalousie!

Info : Planète Polars, Lettres exprès.