samedi 1 mai 2010

Je ne porte pas mon nom - Anna Grue


Je ne porte pas mon nom (titre original Dybt at falde), Anna Grue, éd. Gaïa, 2010, 346 pages. Traduit du danois par Catherine Lise Dubost.

Ce roman est tombé à point pour me consoler de la petite déception suscitée par le deuxième Kanger. Je ne porte pas mon nom est un polar correct qui mélange habilement des sujets sérieux et actuels d'une part, un humour léger et des personnages plutôt sympathiques d'autre part.

Anna Grue est une "petite nouvelle", venue du Danemark (ça me change de la Suède). Après avoir écrit deux romans policiers, Noget for noget (1) et Det taler vi ikke om, elle a commencé une série en 2007 (2). Le personnage principal en est Dan Sommerdahl, la petite quarantaine, directeur artistique d'une agence de pub dans la ville imaginaire de Christianssund, au Danemark.

* * *

Le récit commence par un meurtre, mais du point de vue de l'assassin:
"Dans deux heures, je serai coupable d'un meurtre. L'idée devrait me terroriser, mais pour être honnête, ce qui me préoccupe le plus pour l'instant, c'est ma jambe droite qui s'ankylose. Il y a peu, elle a commencé à devenir insensible, et puis juste après, elle s'est mise à me picoter comme si des milliers d'aiguilles minuscules la transperçaient. Le problème, c'est que le placard dans lequel je me trouve est si exigu que je ne peux pas bouger d'un pouce sans heurter quelque chose et le risque que quelqu'un m'entende est trop grand."
Le placard en question est situé dans la cuisine de Kurt & Co, l'agence de pub qui emploie Sommerdahl. La cible est une femme de ménage d'origine estonienne, Lilliana. À cette heure tardive il n'y a plus guère d'employés dans l'agence et l'assassin attend l'arrivée des "agents de surface" (j'adore ce terme, clinquant et hypocrite à souhait).

Sommerdahl est d'emblée hors de cause pour deux raisons. La première c'est qu'il a fait un burn-out et est en congé maladie de longue durée. Dan ne se plaît pas à son poste de cadre supérieur; il s'est forcé à tenir le coup trop longtemps et a fini par craquer. Son excellent alibi est fourni par le commissaire Flemming Torp soi-même. Torp et Sommerdahl sont de vieux amis; le soir du meurtre ils soupaient ensemble chez Dan, sa femme Marianne et leur chien Luffe.

Pour aider son copain à remonter la pente, mais aussi pour profiter de sa très bonne connaissance de l'agence de pub, Torp associe Sommerdahl à l'enquête en tant que conseiller. Dan se passionne rapidement pour l'affaire. Son enthousiasme va attirer l'attention de la presse qui lui trouvera un surnom: le détective chauve (comme bien des hommes aujourd'hui, Sommerdahl préfère se raser entièrement le crâne au premier signe de perte de cheveux).

Torp et son vieux copain vont découvrir les coulisses pas toujours très propres de Christianssund. Lilliana, comme plusieurs autres, travaillait au noir pour le compte d'une compagnie de nettoyage. Salaire minimum, aucune couverture sociale. Mais les deux enquêteurs, le pro et l'amateur, réalisent bien vite que pour certaines femmes venues d'Afrique ou d'Europe de l'Est, ce sort est de loin préférable à l'exploitation sexuelle dans les bordels du pays d'Hamlet.

Qui était vraiment Lilliana? Pour quelle raison a-t-elle été assassinée? Le détective chauve va démêler tous les fils.

* * *
L'art de raconter une histoire

Anna Grue émaille son récit de petites phrases drôles, parfois très imagées.

Par exemple celle-ci, au cours de l'interrogatoire d'un témoin: "Sa paupière tressautait comme s'il s'était agi d'un corps étranger prêt à se désolidariser du reste pour ouvrir sa propre filiale."

Ou encore celle-là: "Dan resta quelques minutes assis dans sa voiture. Ses pensées virevoltaient comme une nuée de corbeaux sous les coups de fusil".

* * *
Nos amis les animaux

De même qu'Åsa Larsson, Anna Grue ne dédaigne pas les chiens. À la fin de l'ouvrage, l'auteure consacre quelques lignes aux personnes qu'elle tient à remercier. Parmi celles-ci figure
"Le vétérinaire Liselotte Aarsø, qui s'est occupée de Luffe, Futte et des autres chiens qui participaient jadis au roman. La plupart des anecdotes canines ont malheureusement été éliminées lors de la phase de réécriture, sur les recommandations de mes conseillers. (Comme l'un de vous m'a dit: "Tu sais, il existe des gens qui se fichent complètement des chiens..." J'ai toujours du mal à le croire, mais toujours est-il que la quantité d'anecdotes actuelle est le résultat d'un compromis!)
Le vieux Luffe a donc un rôle, petit mais important, dans ce roman.

Pas le moindre chat à l'horizon, toutefois. Tant pis...

* * *
À suivre...

Le 2e Sommerdhal se vend bien en Suède (je n'ai pas trouvé de traductions en anglais). J'attends donc avec beaucoup de curiosité "Le baiser de Judas" (Judaskysset).

[Un grand merci à Josée pour cette lecture.]


---NOTES---
(1) Ce roman a valu à Anna Grue le prix du meilleur premier roman de l'année ("debutantpris"), attribué par la Danska kriminalakademi.

(2) Dybt at falde, 2007 - Judaskysset, 2008 - Kunsten at dø, 2009.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Je n'avais pas tout compris, au début je croyais que c'était Sommerdhal lui-même qui était enfermé dans le placard... C'est original de raconter l'histoire du point de vue du meurtrier.

Paul Arre a dit…

C'est la lecture de ce prologue qui m'a donné envie de lire la suite. Ça et le fait qu'il s'agisse d'une première traduction en français, j'étais curieux de découvrir cette auteure.

Nancy a dit…

Petit point de vue d'ordre "esthétique". J'aime beaucoup les couvertures des éditions "Gaia"

Lystig a dit…

un polar danois????
je suis plus que tentée !!!
(je file sur ama*on)

Paul Arre a dit…

Nancy: le format est un peu bizarre mais ils soignent les couvs, c'est vrai

Lystig: il semble y avoir un peu plus de danois dans les rayons ces derniers temps!

cynic63 a dit…

Peut-être hors-sujet mais puisqu'on parle de polar danois: Je suis surpris qu'il n'y ait que deux traductions des romans de Dan Turell alors que, d'après ce que je sais, c'est quelqu'un qui compte beaucoup dans son pays. Si un éditeur francophone pouvait s'y remettre (même si Dan Turelle est mort depuis longtemps). Je ferme mon hors-sujet

Paul Arre a dit…

Les récentes traductions d'Anna Grue ou Mikkel Birkegaard sont encourageantes de ce point de vue: les auteurs danois peuvent bénéficier de la vague Larsson/Arnaldur/Mankell. La demande est forte en ce moment.

Nina a dit…

J'ai commencé la lecture de ce roman policier, j'en suis à la page 147 et je suis vraiment emballée !! L'analyse de la société danoise par petites touches au travers de la société Kurt & Co est intéressante, l'histoire de ce meurtre et toute l' histoire qui en découle est captivante, enfin bref une très bonne lecture de vacances. La littérature nordique affiche sa différence et prend de l'ampleur en France depuis Millénium, sans oublié Paasilinna, Wasmo, Riel.....Une littérature d'une réelle qualité et qui mérite d'être présente sur les rayons des libraires et des bibliothèques.

Paul Arre a dit…

Bonjour Nina. En effet, les auteurs nordiques se font connaître et c'est une bonne chose. Paasilinna: il en sera bientôt question sur ce blog (enfin... quand je dis "bientôt" cela signifie "d'ici quelques mois")