dimanche 22 novembre 2009

La princesse du Burundi: pêche en eaux troubles

La princesse du Burundi de Kjell Eriksson, Éd. Gaïa, traduction Philippe Bouquet. C'est le troisième roman mettant en scène Ann Lindell. Les deux premiers sont également publiés chez Gaïa et s'intitulent La terre peut bien se fissurer et Cercueil de pierre.

Si vous aimez vos polars aussi noirs que votre café matinal, voilà un roman qui devrait retenir votre attention.

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Peu de temps avant Noël, le corps de John Jonsson alias Petit-John est retrouvé dans une décharge à neige au sein d'une zone industrielle de la ville d'Uppsala.

Issu d'une famille de travailleurs (son père était couvreur) John était connu pour son passé de petit délinquant mais s'était rangé des voitures depuis plusieurs années et vivait avec sa femme Berit et leur fils adolescent Justus. Il avait travaillé comme soudeur (le meilleur selon ses anciens collègues) mais était depuis quelques mois au chômage.

Il avait même acquis une réputation dans le milieu des aquariophiles. Petit-John avait installé chez lui un grand aquarium où il élevait des poissons importés d'Afrique, dont des Princesses du Burundi.

Qui a pu vouloir le torturer et l'assassiner? Et surtout pourquoi? Pour le voler? Il vivait sur la corde raide et consacrait tout ce qu'il pouvait gagner à sa famille et à son bel aquarium. Pour se venger? Calme et réservé, il n'était pas du genre à susciter la haine.

Les enquêteurs vont avoir fort à faire pour démêler l'intrigue. Lennart, le frère de la victime, a bien l'intention de retrouver l'assassin avant eux.
«La famille Jonsson était de celles qui avaient peuplé ce quartier et elle avait eu plus que son lot de malheurs. Trois d'entre ses membres avaient trouvé la mort. La fille, le père, et maintenant le fils. Un accident, un suicide supposé et un meurtre. Comme si toutes les formes de mort violente de cette rue et du quartier s'étaient acharnées sur cette famille.»
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Le cadre

Uppsala est une ville universitaire (l'université a été fondée en 1477 et est la plus ancienne de Scandinavie) située à environ 70 km au nord de Stockholm. La ville a été fréquentée par plusieurs célébrités dont Carl von Linné. Le jardin botanique de Linné a été reconstitué et est amoureusement entretenu.

Nombreuses photos de la ville sur le site Uppsalafoto. Pour vous aider dans les catégories: vinter = hiver, höst = automne, sommar = été, vår = printemps. Gamla Uppsala = le vieil Uppsala.

Kjell Eriksson entraîne ses lecteurs bien loin de ces jolies images. Pas de magie de Noël dans ce roman. La neige recouvre parfois bien des couches de crasse.
«Pour l'instant il se sentait parfaitement sobre, affûté comme jamais auparavant, et observait son quartier en train de se couvrir d'un linceul blanc. En entendant crisser ses pas, il aurait voulu dévorer non seulement ce bruit mais encore la ville entière, tout ce fichu bazar, faire place nette.»
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Les humains

Je n'ai pas lu les deux premiers romans de la série, mais cela ne m'a nullement posé problème pour comprendre les relations entre les policiers qui enquêtent sur l'affaire.

Ann Lindell est un peu à l'écart pour cause de congé maternité et est remplacée à la tête de l'équipe par un collègue qu'elle connaît bien et apprécie, Ola Haver. Elle s'ennuie toutefois dans son rôle de mère célibataire et ne peut s'empêcher de s'immiscer dans l'enquête. Étrangement, Haver ne s'en offusque pas (il est plutôt du genre bonne pâte).

L'univers d'Eriksson se veut réaliste. Il met particulièrement l'accent sur les difficultés de communication des êtres humains. Plus étroit le lien, plus difficile semble la communication. Cela vaut aussi bien pour les policiers (Ola a de sérieux problèmes de couple; Ann n'a tout simplement plus de vie de couple et s'intéresse plus à son boulot qu'à son bébé de neuf mois) que pour les proches de la victime. Lennart, le frère aîné délinquant et alcoolique, traverse le roman sans parvenir à se rapprocher de sa belle-sœur; celle-ci a de son côté bien des difficultés à communiquer avec son propre fils, Justus.

Se parler sans se comprendre. Proches mais solitaires. Eriksson élargit ce constat à l'ensemble de la société moderne, où règnent l'argent et le chacun-pour-soi.

Les réunions quotidiennes du groupe d'enquêteurs donnent parfois lieu à des épanchements amers. Le rôle de la police dans la société ou des détails plus prosaïques comme les coupures dans les budgets sont discutés à certaines occasions. Comme chez Arne Dahl, il se dégage une certaine nostalgie pour un passé disparu à jamais.
«Je commence à avoir de plus en plus de doutes sur le choix que j'ai opéré. Je ferais peut-être mieux de devenir entraîneur de boxe ou quelque chose comme ça.»
En toile de fond nous avons Uppsala et les fiévreux préparatifs de Noël. Le contraste est d'autant plus saisissant.

Une histoire amère.

Addenda: SériaLecteur (bon pseudo!) a repéré un détail -qui ne pouvait que m'échapper- à propos des Princesses du Burundi. Certains se mangent et d'autres sont jolis, voilà à peu près toutes mes connaissances en matière de poiscaille.

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L'auteur

Jardinier et auteur, Kjell Eriksson vit à Uppsala.

La série policière "Ann Lindell" compte dix titres. Trois ont été traduits:

Den upplysta stigen, 1999 (prix du meilleur premier polar 1999, Svenska Deckarakademin)
Jorden må rämna, 2000 (La terre peut bien se fissurer)
Stenkistan, 2001 (Cercueil de pierre)
Prinsessan av Burundi, 2002 (La princesse du Burundi)
Nattskärran, 2003
Nattens grymma stjärnor, 2004
Mannen från bergen, 2005
Den hand som skälver, 2007
Svarta lögner, rött blod, 2008
Öppen Grav, 2009

Eriksson a décidé de mettre un terme à la série cette année, avec Öppen Grav. Ann Lindell a vieilli, lui aussi. "Notre histoire est terminée. Après dix ans et nombre de romans policiers. Pourtant je suis curieux et me demande où elle va." Il la regarde traverser la voie ferrée et partir, peut-être vers le commissariat de police...

"Notre ville. Uppsala. Crise économique, chômage, ségrégation, les jeunes de Stenhagen et Gottsunda qui mettent le feu aux voitures et lancent des pierres sur les policiers, écoles et centres de soins privatisés."

Les Suédois disent donc bye bye et adjö à Ann Lindell cette année, mais les lecteurs francophones devraient avoir quelques années de lecture en sa compagnie, si Gaïa poursuit les traductions!

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