jeudi 16 septembre 2010

La Malédiction des anges - Du rififi au couvent


La Malédiction des anges (titre original: Angelology) de Danielle Trussoni, Éd. Fleuve Noir, 2010, 545 pages. Traduit de l'anglais par Vincent Hugon.

Il existe une bande-annonce, voir le billet précédent.

Détail intéressant, l'auteure (née dans le Wisconsin) vit dans le sud de la France.

La Malédiction des anges peut faire penser au Da Vinci Code (pour la quête à saveur religieuse), ou pourquoi pas à Rick Riordan (pour le croisement entre la mythologie et notre réalité moderne, mais c'est là leur seul point commun).

Chez le même éditeur il m'a un peu rappelé La Librairie des ombres, qui nous transporte sur une Terre alternative où certains personnages ont des caractéristiques qui les distinguent des humains "normaux".

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T'as de belles plumes, tu sais

En bref, l'intrigue oppose deux camps irrémédiablement opposés. D'un côté les Nephilim, êtres mythiques qui résultent d'un croisement entre des anges et des humains (cf. Genèse 6,4); de l'autre des angéologues, spécialistes du sujet, qui depuis plusieurs siècles luttent contre les premiers. Hormis les angéologues, l'immense majorité des humains ignorent tout de la vraie nature des Nephilim.
Genèse 6,4 : "Les géants étaient sur la terre en ces temps-là, après que les fils de Dieu furent venus vers les filles des hommes, et qu'elles leur eurent donné des enfants: ce sont ces héros qui furent fameux dans l'antiquité"
Ces anges qui, avant le Déluge, avaient courtisé "les filles des hommes" étaient devenus mauvais. Ces "Veilleurs" déchus, dont la mission à l'origine était de veiller sur la Création, ont été punis par décret divin. Ils ont été jetés et enchaînés au fond d'une grotte obscure, dans l'attente de leur jugement. Leur nombreuse descendance (qui a trouvé un moyen de survivre au Déluge) ne vaut pas mieux qu'eux.

Le récit nous montre des créatures mauvaises mais qui ont gardé toutes les caractéristiques de l'ange tel qu'on se l'imagine. Dans ce roman la beauté céleste va donc volontiers de pair avec la cruauté. Comme leurs ancêtres déchus, les Nephilim ont des boucles blondes et des pensées noires. L'auteure prend ainsi le mythe des anges à rebrousse-poil (ou plutôt à rebrousse-plume). Cela donne bien du fil à retordre au lecteur, car traditionnellement l'aspect angélique est associé aux concepts de bonté et de bienveillance.

Les Nephilim sont puissants, en plus d'être méchants et égoïstes. Une conséquence immédiate en découle: ils occupent des postes de pouvoir. Familles régnantes et vieilles dynasties, États-majors, directions de multinationales, ils font concurrence aux humains dans les plus hautes sphères de la société. Heureusement pour leurs adversaires, ils ne sont pas très malins. Les possessions matérielles et la splendeur de leurs ailes sont les seules choses qui intéressent ces drôles de semi-anges; l'intellect n'est pas leur point fort. Leurs buts: maintenir leur position dominante et trouver un remède à la dégénérescence dont certains d'entre eux commencent à souffrir, conséquence des multiples croisements avec les Hommes.

Les angéologues ne sont pas pauvres non plus (ils ont un côté très "bon chic bon genre") mais ils misent avant tout sur leurs connaissances et leur courage pour atteindre leur objectif: libérer l'humanité des parasites que sont les Nephilim.

Dieu et ses anges (les bons) sont au Ciel. La Terre est un ring et l'arbitre a pris sa pause. Qui va l'emporter?

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Une grosse difficulté avec les mondes alternatifs, c'est de pouvoir les rendre suffisamment cohérents.

Avec La Malédiction des anges, le défi était de taille et l'auteure s'en sort plutôt bien, s'appuyant sur des récits mythiques comme le livre d'Hénoch. De longs chapitres nous aident à nous familiariser avec l'angéologie et l'univers alternatif sur lequel elle repose. Dans un tel univers, les anges -et surtout leurs rejetons- sont réels, ils ont un corps, des organes reproducteurs, et on peut même les disséquer (voilà qui met un terme au débat sur le sexe des anges). Ils sont non seulement capables de voler mais peuvent conduire une voiture de luxe, ou prendre l'ascenseur lorsqu'ils veulent changer d'étage sans se faire remarquer par les humains.

Si je n'ai pas de problème particulier pour accepter la géologie antédiluvienne ou la musicologie céleste, j'ai tout de même grincé des dents à certaines occasions.

Par exemple, les ailes des Nephilim. Ils en sont très fiers et adorent les exhiber lorsqu'ils sont entre eux. Dans d'autres circonstances (notamment lorsqu'ils interagissent avec les humains) ils les "replient" dans leur corps. Les ailes sont visibles et bien concrètes (il suffit de les briser pour tuer un de ces monstres) mais elles passent sans problème à travers les couches de vêtements, ce qui est pour le moins contradictoire.

Autre exemple: les pompiers de l'État de New York n'ont pas la réputation d'être des lambins. Lorsqu'une bâtisse flambe on doit bien voir arriver rapidement un ou deux de leurs camions? Même en zone rurale, des voisins ou simples curieux vont s'approcher pour observer l'incendie ou proposer de l'aide? Dans une scène pleine d'action du roman on a bien un gros incendie, des créatures qui volent dans tous les coins, des dizaines de cadavres à planquer après les combats, et pas le moindre badaud ne pointe le bout de son nez. Quant aux corps, ils sont tout simplement balancés dans la rivière Hudson, ni vu ni connu.

Même dans un monde alternatif, ces petits détails passent difficilement.

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My name is Clochette, Célestine Clochette!

Un aspect charmant -et parfois déconcertant- du roman, ce sont les noms des héros.
Les prénoms "angéliques" abondent, notamment chez les angéologues (n'oublions pas que seuls les Veilleurs sont mauvais): la jeune ingénue du couvent Sainte-Rose, Évangéline, est fille d'Angela et petite-fille de Gabriella. Les Nephilim, eux, portent des noms improbables qui leur vont très bien: Percival, Sneja, Otterley.

Une partie de l'action se déroule en France, et plusieurs personnages ont des noms français. Mais ils sonnent parfois bizarrement à une oreille française, comme Sabine Clémentine.

On retrouve un Verlaine dans le rôle du jeune premier plein de fougue (RJ Ellory avait donné ce nom à un des personnages de Vendetta).

Mais d'où sort Célestine Clochette? À chaque fois que son nom apparaît, je pense à Peter Pan...

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En conclusion, La Malédiction des anges fera le bonheur des lecteurs qui aiment les réalités alternatives fantastico-mystico-religieuses, les longues descriptions, et qui n'ont pas peur d'avaler deux volumes. La fin du roman appelle en effet très clairement une suite, qui est en cours d'écriture et s'intitulera Angelopolis.

Un film est en prévision chez Columbia Pictures.

Petit ajout: les filles de Bokhora à Stockholm (un site consacré à la littérature) ont eu droit à une livraison très spéciale lors de la sortie de l'édition suédoise du bouquin... cliquer sur le lien pour voir ça.

[Un grand merci à Suzanne, ainsi qu'à Fleuve Noir, pour la découverte de cette auteure.]

6 commentaires:

Allie a dit…

Je ne suis pas particulièrement attirée par les anges mais je l'ai noté celui-là. Si je le lis, je garde en tête que certaines petites choses peuvent "déranger" pendant la lecture.

Paul Arre a dit…

Bonjour Allie! Ça me fera plaisir de lire ton avis sur le bouquin.

Emeraude a dit…

je suis contente de lire ton avis sur ce livre que, rien qu'à la couverture, le titre et l'éditeur, je pensais être, pour être complètement honnête, nul.
D'après ce que tu dis, ce n'est pas complètement le cas :-)

Paul Arre a dit…

Bon matin Émeraude! Un livre nul, c'est rare (on évitera de donner des noms).

Ce roman mérite de trouver son public (voir la fin de mon billet) mais il risque de laisser sur leur faim des lecteurs un peu trop exigeants, par exemple les assidus de Lovecraft (ses monstres sont indépassables!) ou Herbert.

Emeraude a dit…

"Un livre nul c'est rare"... objectivement, peut être. Subjectivement, je pense honnêtement que ça ne soit pas si rare ! Quant à Lovecraft et Herbert je ne les ai jamais lu. Mais je ne lis quasiment jamais de SF ou ce qui s'y apparente... Par contre, je lis beaucoup de polars. Et je suis devenue très exigeante en matière de polar et donc, en tant que "polar", cette malédiction des anges ne me dit rien qui vaille! ;-)

Paul Arre a dit…

Je reformule: un roman dépourvu de toute qualité, c'est très rare (car en effet des livres nuls on en trouve à la pelle sur certains rayons en librairie, mais c'est une autre affaire...)

La Malédiction relève du fantastique et non du polar (il y a un aspect "quête" plutôt que "enquête") il a donc très peu de chance de te plaire ;-) mais dans cette catégorie de bouquins il ne se classe pas trop mal, il me semble.