Un endroit discret (titre original Kikanakatta basho), de Seichô Matsumoto, Actes Sud (coll. Actes noirs), 2010, 216 pages. Traduit du japonais par Rose-Marie Makino et Yukari Kometani.
Tsuneo Asai est fonctionnaire au sein du Ministère de l'Agriculture. Sa parfaite connaissance des réglementations en vigueur -particulièrement en ce qui concerne la transformation des viandes- lui vaut le respect des industriels aussi bien que de sa hiérarchie.
Lorsque s'ouvre le roman, Asai est en déplacement à Kôbe. Il accompagne son chef, le directeur de cabinet Shiraishi. Les deux représentants de l'État sont accueillis et traités aux petits oignons par les professionnels locaux de l'industrie agroalimentaire. Réception, cocktails, geishas, tout est fait pour mettre Shiraishi à l'aise.
C'est au cours du dîner qu'Asai reçoit une terrible nouvelle de Tokyo. Sa belle-sœur lui annonce par téléphone la mort de son épouse, Eiko. Elle a été victime d'une crise cardiaque quelques heures auparavant. Asai aborde le "problème" d'une façon... zen:
"Comme Asai s'était absenté longtemps, son chef paraissait légèrement de mauvaise humeur. Asai, tenant du bout des doigts son bol brûlant de riz à la daurade, réfléchissait à la manière d'aborder le sujet avec lui. Il n'avait pas de temps à perdre. Les pleurs de Miyako [la belle-sœur] lui revenaient à l'oreille. Asai reposa sur son plateau le bol qu'il venait pourtant de prendre, et faisant glisser ses genoux, il se rapprocha de son chef.Il s'excuse ensuite platement de devoir rentrer à Tokyo et faire ainsi faux-bond à son chef.
- "Je suis absolument désolé, mais..." lui murmura-t-il à l'oreille.
Shiraishi pencha légèrement la tête vers lui d'un air interrogatif.
- "Je voudrais que cela reste entre nous, mais..."
Les invités étaient moins agités que lorsqu'ils buvaient du saké un peu plus tôt, mais les conversations allaient bon train.
- "... je viens tout juste de recevoir un coup de téléphone de mon domicile à Tokyo. Pour me prévenir de la mort subite de ma femme."
Le chef de cabinet tendait l'oreille d'un air perplexe, le mot "mort" ne suffisait manifestement pas à ce qu'il comprenne.
- "D'une crise cardiaque, il y a trois heures."
Une telle entrée en matière m'a plu, et c'est avec curiosité que j'ai suivi Asai dans son "travail de deuil" (si on peut appeler ça comme ça...)
La mort d'Eiko ne bouleverse que modérément le brave homme, mais il va mettre un point d'honneur à reconstituer les derniers instants vécus par son épouse. Asai va donc se rendre dans le quartier de Yoyogi et visitera la boutique de produits de beauté Takahashi. C'est dans ce quartier, dans ce magasin, qu'Eiko a rendu son dernier soupir.
Mais que faisait-elle là, dans ce coin de la ville où elle ne connaissait personne? Cette question va pousser Asai à arpenter les rues de Yoyogi. Il découvrira vite que le chic quartier abrite quelques "hôtels de rencontre" très appréciés par les couples illégitimes...
Incapable de se défaire de ce terrible soupçon, très soucieux de savoir si oui ou non son honneur a été bafoué, Asai va s'engager dans une voie sans retour.
* * *
Après la très bonne surprise de La Maison où je suis mort autrefois, j'avais envie de lire un nouveau polar made in Japan. Et puis ça change un peu des auteurs en "son".Ambiance faussement paisible, politesse extrême et ambitions dévorantes, courbettes et coups en traître, Un endroit discret est un cocktail très sympathique.
J'ai moins apprécié quelques répétitions et l'abondance de noms de lieux ou de personnes (des notes ou un peu d'aspirine permettent de surmonter ce petit problème).
Du même auteur sont parus en français: Le vase de sable (Picquier - 1987), Tokyo Express (Picquier - 1989), La voix (Picquier - 1992).
Seichô Matsumoto est décédé en 1992. Courte bio en français sur shunkin.net