jeudi 30 décembre 2010

Mémoires gelées, colères brûlantes


Mémoires gelées (titre original: Fruset ögonblick), Camilla Ceder, Éd. JC Lattès, 2010, 356 pages. Traduit du suédois par Marie-Hélène Archambeaud.

Olofstorp, petite localité rurale dans les environs de Göteborg. Åke Melkersson a des problèmes avec sa voiture. Il décide de faire un tour à la ferme de Lise-Lott Edell et son compagnon Lars Waltz. Celui-ci effectue à l'occasion des petits travaux de mécanique, et puisqu'il vit à côté ce sera plus pratique et moins coûteux qu'appeler une dépanneuse... Mais c'est un cadavre qu'Åke découvre dans la cour de la ferme désertée. Par précaution -ou poussé par la haine- le meurtrier a pris le temps d'écraser le corps sous les roues de sa voiture après lui avoir tiré une balle dans la tête.

Choqué par sa découverte, Åke alerte la police et appelle à l'aide sa voisine, Seja Lundberg, qui réside à proximité.

Le commissaire Christian Tell et son équipe mènent l'enquête. Assez rapidement un lien est établi avec un deuxième crime commis dans une autre localité. Le travail de Tell est rendu un peu plus complexe à cause de son attirance pour un témoin, la belle et solitaire Seja.

* * *

Mémoires gelées est le premier roman d'une jeune auteure, née en 1976.

L'intrigue est très classique -ce n'est pas un défaut- et assez fouillée, avec les traditionnels flashbacks. Les personnages sont suffisamment nombreux pour maintenir le suspense et envoyer le lecteur sur quelques fausses pistes! (Mais sont-elles toutes vraiment fausses?...)

Le récit est plus "nerveux" que du Åke Edwardson (ce n'est pas très difficile!) et beaucoup plus classique que du Johan Theorin. S'il fallait tenter une comparaison je glisserais ce roman aux côtés de ceux de Mons Kallentoft, Mari Jungstedt ou Helene Tursten (les détails gore en moins).

Détail surprenant: les droits ont été achetés par les éditeurs de sept autres pays avant même la sortie du bouquin en Suède (1). Rappelons qu'il s'agit d'un premier roman... Ça en dit long sur la terrible pression que subit actuellement le marché suédois.

Camilla Ceder a publié cette année en Suède son deuxième polar, Babylon. On y retrouve Christian Tell, qui voit ses projets de vacances gâchés par une découverte macabre: les corps d'une prof d'archéologie et d'un de ses étudiants sont retrouvés dans un quartier huppé de Göteborg.


---NOTE---
(1) "Deckaren, som tar avstamp i ett brutalt mord på en enslig gård i Olofstorp, hade redan före utgivningen i Sverige sålts till ytterligare sju länder. Den ska översättas till bland annat tyska, italienska, holländska och danska." (Göteborgs Posten).

mercredi 29 décembre 2010

Les Anonymes : Ils auraient pu le rester...


Les Anonymes (titre original: A Simple Act of Violence), R.J. Ellory, Éd. Sonatine, 2010, 689 pages. Traduit de l'anglais par Clément Baude.

Ça m'arrive rarement, c'est en tout cas une première depuis que je gribouille sur ce blog, mais voilà un bouquin -écrit par un auteur que j'aime beaucoup- que je n'ai pas encore pu terminer.

Pour résumer mon impression générale, j'évalue grosso modo le style et la traduction à 16/20, et l'intrigue à 2/20.

Attention: ce billet contient des spoilers.

Je n'ai nullement envie de résumer l'histoire, les curieux pourront consulter le site de l'éditeur.

Première remarque, Les Anonymes ressemble un peu au (très bon) précédent roman, Vendetta. Il s'agit là aussi d'un face à face entre le "flic qui a des problèmes de famille" (l'inspecteur Robert Miller) et le "méchant mais gentil quand même" (John Robey). La CIA remplace la mafia, et nous voici transportés à Washington au lieu de la Nouvelle-Orléans.

Ces ressemblances ne suffiraient pas à elles seules pour me décourager. Une bonne variante d'un très bon roman écrit par un excellent auteur, ça ne se refuse jamais.

Malheureusement, avec ce troisième titre Ellory a opté pour la banalité et la caricature. L'intrigue de ces presque 700 pages (je reste coincé vers la page 450) pourrait se résumer en une phrase: les USA sont le Mal et la CIA est son prophète. Je n'exagère hélas que très peu.

Le "méchant" est ici un tueur de la CIA qui se retourne contre son employeur. Le lecteur a droit à ses réflexions et souvenirs dans de courts mais nombreux chapitres. C'est dans ces chapitres que réside mon problème, car il sont un festival de la caricature... Toutes les platitudes sur les vilenies de la CIA sont enchaînées les unes après les autres. La drogue aux States? Un coup de la CIA pour financer ses coups tordus en Amérique centrale. Eh oui Madame, si votre fils se drogue aujourd'hui, c'est à cause de Ronald Reagan! Le soutien américain aux Contras? Un coup de la CIA qui ne supportait pas la perspective de voir le Nicaragua transformé en Paradis Terrestre par les Sandinistes. Etc, etc...

La guerre froide? L'URSS? Connais pas. L'Union soviétique est mentionnée une seule fois (en 450 pages) pour dire que son rôle est en fait négligeable pour comprendre la politique étrangère des USA...

Ouch!

Les personnages n'échappent pas à ce traitement. À un moment du récit, lorsque Miller et le bad guy se rencontrent enfin, le célèbre Oliver North est évoqué. Eh bien le flic américain très cultivé, qui connaît les œuvres de Dürer et reconnaît sans hésitation une phrase prononcée par le Marquis Charles Maurice de Talleyrand-Périgord lors du Congrès de Vienne en 1814 (page 428 si vous ne me croyez pas), n'a jamais entendu parler du lieutenant-colonel North (1). Et que fait-il pour remédier à son ignorance? Il consulte Google et découvre avec effarement (et sans le moindre soupçon d'esprit critique) la multitude de pages Internet consacrées à North:
Une heure plus tard, assis devant son ordinateur, [Miller] inscrivit "CIA drogue" dans le moteur de recherche. Des milliers de pages s'offrirent à lui. Il cliqua sur un site et parcourut le texte qui s'affichait.
(...)
C'était comme si un monde nouveau s'ouvrait devant lui, un monde qu'il n'avait jamais soupçonné, jamais imaginé.
Re-ouch!

La prise de conscience de John Robey est une autre de ces nombreuses scènes déconcertantes. Brainwashé par la CIA (qui bien sûr ne peut recruter autrement qu'en bourrant le crâne des jeunes Américains) son job est de liquider des tas de gens (un travail de routine à la CIA, semble-t-il). Il reçoit un jour l'ordre d'assassiner un responsable sandiniste quelconque. Surpris par sa cible, le tueur se voit offrir très aimablement un whisky et se met à tailler le bout de gras avec sa victime désignée. À la fin de la conversation il appuie sur la détente, professionnalisme oblige. Mais cet échange très poli, très civilisé, va suffire pour insinuer le doute dans son esprit.

Re-re-ouch!

Et c'est comme ça tout au long du récit... Voilà un roman qui se veut sérieux, informé et "conscientisé" mais qui repose en fait sur le manichéisme et la caricature, à tel point que l'intrigue principale (l'enquête de Miller avant sa rencontre avec Robey) bien qu'intéressante, en est gâchée.

Au moins Vendetta ne prétendait d'aucune manière être une approche historique de la mafia. Le roman était très clairement une fiction. De plus on percevait dans Vendetta une certaine sympathie pour Nick le Cure-Dent et autres tueurs qui peuplent le récit. Les mafiosi de Vendetta se réunissent, mangent des pâtes en buvant du chianti, se racontent des histoires, se tapent virilement sur l'épaule et passent du bon temps. Ils trucident à tour de bras aussi, c'est leur travail, mais ils ne sont pas unidimensionnels.
On ne retrouve pas cela dans Les Anonymes. Apparemment, pour Ellory, la mafia est beaucoup plus "conviviale" et sympathique que la CIA.

* * *

En conclusion: ma déception est à la hauteur de mon admiration pour R.J. Ellory et je croise les doigts pour que le prochain bouquin retrouve le souffle des deux premiers (2). J'espère que Les Anonymes n'était rien de plus qu'un accident de parcours.

Public cible: tous ceux qui ne sont pas encore lassés, fatigués, épuisés, lessivés, saoulés par les sempiternelles rengaines "US go home" et "CIA caca". Tous ceux qui ne sont pas dérangés par les récits simplistes et manichéens. À ceux-là je dis: foncez! Comme je l'écrivais en début de billet le style est de qualité, on reconnaît bien la patte d'Ellory.

Allez... pour finir sur une remarque toute gentille (c'est Noël après tout) je reconnais volontiers que je suis un des rares (le seul?) à ne pas pouvoir adhérer à ce roman. Les critiques sont dans l'ensemble très positives, aussi bien sur les blogs (Encre Noire, Carnets Noirs, Là où les livres sont chez eux, Polar noir et blanc, Yspaddaden, Lettres exprès) que dans les médias.

[Je remercie vivement ADP et Sonatine pour m'avoir fait parvenir un exemplaire de ce livre]


---NOTES---
(1) À titre de curiosité, je signale que le magazine Marianne du 18-31 décembre 2010 consacre trois pages à l'Irangate et aux péripéties d'Oliver North... on ne peut pas vraiment dire que le bonhomme est un inconnu.
(2) Bonne nouvelle, Seul le silence et Vendetta sont disponibles au Livre de Poche. Il serait déraisonnable de s'en priver!

mardi 7 décembre 2010

United Victims - To kill or not to kill


United Victims (titre original Nærmeste Pårørende), Elsebeth Egholm, Éd. Le Cherche Midi, 2010, 417 pages. Traduit du danois par Didier Halpern.

Dicte Svendsen est journaliste. Elle vit et travaille à Århus, sur la côte du Jutland au Danemark. C'est une femme dans la quarantaine, mère d'une jeune fille, Rose, et compagne d'un photographe de presse, Bo.
"Århus, Jutland de l'Est. Dans un pays secoué par une vague de panique liée aux alertes à la bombe et aux révoltes dans les banlieues, Dicte Svendsen, journaliste, reçoit par la poste un film adressé à son attention de manière anonyme. Dès l'instant où les images se mettent à défiler sur son écran, elle sait que sa vie ne sera plus jamais la même. Ce qu'elle voit n'est rien d'autre que la décapitation bestiale d'un homme au corps ligoté, opérée au moyen d'un sabre par un personnage recouvert d'un drap noir, ne laissant apparaître que deux fentes à l'emplacement des yeux. Le terrorisme islamique est-il arrivé au Danemark? Pourquoi ce document lui est-il adressé personnellement plutôt qu'à des médias de plus grande audience?" (Extrait de la 4e de couverture).
La revendication du meurtre ne tarde pas; le tueur déclare agir au nom des victimes de crimes, au nom de Dieu et d'Allah, pour punir les méchants et pallier le laxisme de la société. S'agit-il vraiment d'un acte terroriste commis par des islamistes? S'agit-il d'une mise en scène visant à faire porter le chapeau aux fondamentalistes en particulier et aux musulmans en général? Et pourquoi la vidéo du meurtre et le message de revendication sont-ils envoyés à Dicte Svendsen?

* * *

L'histoire se déroule peu de temps après la célèbre "affaire des caricatures" (le roman est paru au Danemark en 2006). Dicte Svendsen va très vite devoir composer avec une opinion publique sensible, avec son rédacteur en chef, avec l'inspecteur de la Criminelle chargé de l'enquête, John Wagner, mais aussi avec les services de lutte contre le terrorisme. Sans oublier sa vie personnelle, compliquée par l'intrusion de souvenirs troublants.

L'enquête est classique, mais prenante. Un bon point pour le thème "justice / vengeance", qui donne du corps à l'intrigue. Comme la France ou le Canada, le Danemark a aboli la peine de mort mais une minorité souhaite un retour de la peine capitale dans les textes de loi. Egholm creuse ce sujet de la vengeance, du rôle qu'elle peut tenir dans le "travail de deuil" des proches de victimes, etc. Ce thème est essentiellement concentré dans une sorte "d'intrigue secondaire", mais je n'en dis pas plus...

Le couple formé par Rose -la fille de Dicte- et Aziz -l'apprenti flic d'origine pakistanaise- est attachant. J'ai toutefois eu un peu de mal au début à comprendre les aléas de la relation Rose/Aziz. Le récit fait en effet référence à des événements passés, que l'on devine tumultueux, et qui ont des répercussions importantes encore aujourd'hui. Mais ces événements sont peu détaillés, surtout au début du roman, et je me suis senti un peu perdu. J'en devine la raison en jetant un œil au site de l'auteure. Nærmeste pårørende est le quatrième roman de la série "Dicte Svendsen"... Voici un récapitulatif des titres déjà disponibles en danois:
  1. Skjulte fejl og mangler, 2002
  2. Selvrisiko, 2004
  3. Personskade, 2005
  4. Nærmeste pårørende, 2006 / United Victims, 2010
  5. Liv og legeme, 2008
  6. Vold og magt, 2009
D'après le site d'Elsebeth Egholm, les trois premiers ouvrages ont été traduits en allemand et suédois seulement. Les francophones, comme les Néerlandais et les Norvégiens, ont eu droit à des traductions à partir du quatrième. Yo ne pas wissen perche pantoute...

vendredi 3 décembre 2010

Le prochain Läckberg approche


Probablement janvier ou février, Actes Sud.

vendredi 26 novembre 2010

Comment éduquer son humain en 50 leçons


[Petite parenthèse en dehors du roman noir et du polar]

Adopter un humain pose parfois des problèmes même au chat le plus patient. Ces drôles de primates imberbes peuvent être de bons compagnons, ils chauffent le canapé comme personne, et puis ils semblent jouer un rôle dans le remplissage magique de la gamelle... Mais, convenons-en, les humains manquent de finesse et ignorent tout de l'étiquette féline. Disons-le franchement, ils sont un peu ploucs.

Tout félin souhaitant faire progresser son (ou ses) humain(s) pourrait lui suggérer la lecture du tout récent Mon chat chez le psy, de Catherine Davidson aux Éd. Transcontinental, 2010 (titre original: Why does my cat do that?, The Ivy Press, 2008).

50 courtes leçons de deux pages dans un ouvrage de petit format (23$ quand même), avec quelques dessins pour retenir l'attention de votre primate favori. Ce n'est pas un manuel, plutôt un pense-bête, c'est donc facile à lire et ça aborde plusieurs sujets:

- "Pourquoi mon chaton se cache-t-il?"
- "Pourquoi ma chatte transporte-t-elle ses petits?"
- "Pourquoi mon chat saute-t-il sur mon nouveau partenaire?"
- "Pourquoi mon chat veut-il sortir dès que je l'ai fait rentrer?" ["De votre point de vue, la porte d'entrée marque le début de votre espace. Mais du point de vue d'un chat, c'est un obstacle artificiel situé au milieu de son domaine."]; ce qui me rappelle l'hilarant Let Me In sur le site de Simon's Cat.

À toutes ces questions un chat répondrait probablement "Pourquoi pas?", mais Davidson développe un tout petit peu plus.

Dans chaque cas l'accent est mis sur le point de vue du chat. Un chapitre se demande par exemple pourquoi un chat, au milieu de plusieurs humains, va volontiers s'installer près de la personne qui apprécie le moins les félins. Ce n'est pas du sadisme puisque Minet ne sait pas que Mme Chose ne l'aime pas. L'explication donnée est la suivante: contrairement aux primates-sur-deux-pattes les chats évitent de se regarder dans les yeux, car c'est grossier et agressant. Ça ne se fait pas entre gens de bonne compagnie. S'il se retrouve en présence d'un groupe de personnes dont plusieurs le fixent, dévoilent leurs dents et agitent les mains dans sa direction en poussant de petits cris ("minou minou minou!"), tandis qu'une autre l'ignore royalement, le matou ira plus facilement vers cette dernière. Calme = sécurité.

On retrouve cette question du regard à la page "Pourquoi mon chat boude-t-il?". Minet tourne le dos à son humain? Celui-ci pourrait croire que son chatounet le boude. Erreur. Chatounet est très conscient de la présence du primate. En détournant le regard il se conforme simplement au savoir-vivre de la gent féline. Loin de bouder, il est en fait amical et d'humeur sereine (mais ça ne va pas durer si Homo Sapiens vient le tripoter et lui crier dans les oreilles...)

jeudi 25 novembre 2010

Prix : les meilleurs romans policiers 2010 en Suède

Les prix pleuvent en cette saison, alors un de plus ou un de moins...
La "polaracadémie" suédoise a dévoilé ses champions pour 2010! (Voir les nominations ici.)


Meilleur polar suédois: Den döende detektiven, de Leif GW Persson (auteur de Comme dans un rêve, où figurait déjà le flegmatique commissaire Lars Martin Johansson). L'ex-chef de la Criminelle est désormais à la retraite et s'est retiré à la campagne. Alors qu'il fait une courte visite dans la capitale il se réveille à l'hôpital; rupture soudaine d'anévrisme. C'est un nouveau Johansson qui émerge du coma après trois jours.





Meilleur polar étranger traduit en suédois: Devils Peak, de Deon Meyer (publié en français sous le titre Le Pic du diable chez Seuil). La couverture suédoise est tout simplement hideuse.





Meilleur premier roman (suédois): [geim], d'Anders de la Motte (ça rime avec Bernadotte! et c'est tout ce que je sais de cet auteur...). Un petit truand et une flic de la Säpo voient leurs routes se croiser à l'occasion d'un drôle de "jeu" qui mêle réalité virtuelle et Internet ("geim" prononcé à la suédoise sonne comme "game").

mercredi 24 novembre 2010

Sukkwan Island : No Redemption


Sukkwan Island, David Vann, Éd. Gallmeister, 2010, 192 pages. Traduit de l'anglais par Laura Derajinski.

Tout a déjà été dit sur ce roman. Je ne compte plus les blogs qui lui ont consacré un billet, sans parler des critiques littéraires... Encore une fois j'arrive longtemps après la bataille ;-)

Écouter Oliver Gallmeister parler de son métier et de "ses" auteurs à la fin octobre m'avait décidé à partir à la découverte de Sukkwan Island.

Contrairement à mes habitudes, et à ma grande surprise, j'ai lu ce -court- roman d'une seule traite, tournant la dernière page tard samedi soir (ou plus exactement tôt dimanche matin).

* * *
Courte présentation de l'histoire

Roy est un ado américain, il vient d'avoir treize ans. Il a grandi en Alaska, à Ketchikan, mais depuis le divorce de ses parents il vit en Californie avec sa mère et sa petite sœur, Tracy. Le père, Jim, est resté en Alaska où il exerce la passionnante profession de dentiste et rate ses mariages successifs.

Jim décide de changer de vie. Il vend sa maison pour acheter un bout d'île dans un coin paumé du sud-est de l'Alaska: Sukkwan Island (Wikipedia). Il propose à son fils Roy de passer une année avec lui au contact de la nature. Une année entre père et fils pour pêcher, chasser, jouer aux cartes et apprendre à mieux se connaître. Face à une intrigue de ce genre, ma réaction habituelle est la fuite (du bouquin par la fenêtre) mais Sukkwan Island n'est pas un de ces banals et fatigants "tu-seras-un-homme-mon-fils".

Après avoir longuement hésité, Roy accepte. Le récit commence avec leur arrivée sur Sukkwan Island, en hydravion (principal moyen de déplacement dans ses étendues immenses).

Bien évidemment tout ne se passera pas comme prévu. Jim se comporte parfois de manière étrange et son fils a bien du mal à comprendre les crises de larmes nocturnes ou son indécision face à certaines situations. Roy semble en fait plus équilibré que son père, à tel point que parfois les rôles père/fils semblent s'inverser.

* * *
Nos choix font-ils le poids face aux circonstances?

Sukkwan Island n'est pas un roman follement optimiste... c'est en fait une (belle) tragédie.

La nature y joue un rôle important. Elle offre un cadre splendide et impressionnant -quelque peu effrayant aux yeux d'un citadin endurci- mais elle est également une prison car même avec un petit Zodiac on ne peut pas aller très loin, la région n'étant qu'un vaste patchwork d'îles fort peu peuplées.

[Ce qui suit ne contient pas de spoilers à proprement parler, mais s'en approche dangereusement. La prudence s'impose... l'idéal est d'aborder le roman directement, sans "préparation"]

Les personnages de Jim et Roy sont fort bien dépeints. Les (dés)espoirs et le destin de Jim sont poignants, et je suis en désaccord avec Cynic63 (Noirs desseins) sur ce point (entre autres): "Je ne peux donc pas dire que je n’ai rien ressenti pour ce brave dentiste (...) Non content d’avoir fichu en l’air deux mariages, entraîné avec lui dans les tréfonds de son inconséquence famille et amis, il faudrait en plus qu’on le plaigne, qu’on trouve admirable cette espèce de non-sens où il entraîne encore quelqu’un (...)"

Je ne crois pas que le récit nous incite à plaindre ou admirer les décisions de l'un ou de l'autre, et surtout pas celles du père. Le paragraphe-couperet qui clôt le roman (et qui s'adresse peut-être autant à Jim qu'au père de l'auteur, voir le lien vers In Cold Blog plus bas) est une condamnation plutôt qu'une justification. On ne peut pas non plus parler de "non-sens"; certaines actions de Jim sont critiquables mais son projet a du sens, du moins en a-t-il pour des gens qui ont vécu une partie de leur vie dans des bleds du fin fond de l'Alaska, et l'issue aurait été très différente en d'autres circonstances (l'isolement en pleine nature joue un rôle crucial dans l'évolution de l'intrigue).

Bladelor (Oceanicus in Folio) a également de grosses réserves. Elle aussi aimerait bien filer des baffes à Jim Fenn! Pour ma part j'éviterais: le bougre semble vigoureux et il serait bien capable de riposter... Contrairement à Bladelor je n'ai pas remarqué de longueurs, mais peut-être mon goût pour le polar scandinave m'a-t-il immunisé? ;-) Les nombreux passages sur l'exploration, la chasse, la pêche, la conservation de la nourriture qui tourne à l'obsession, tout cela aide le lecteur à mieux appréhender la situation critique des protagonistes. Trouver de la nourriture et la conserver est vraiment un problème majeur pour Roy et Jim, et c'est un problème méconnu de la grande majorité des lecteurs (éventrer une boîte de conserve, je sais comment ça se passe, je n'ai pas besoin qu'on me détaille le processus; à l'inverse ne manger que ce que l'on peut attraper et tuer ne fait pas vraiment partie de mon quotidien). De plus, sur une île sans Internet, sans télévision, sans bibliothèque de quartier, sans console vidéo, sans même un ou deux Témoins de Jéhovah pour vous distraire le samedi matin, la routine de la (sur)vie au grand air occupe nécessairement une place prépondérante. Il faut que le lecteur s'imprègne de tout cela, et je ne sais pas si l'auteur aurait pu réduire son texte sans nuire à "l'atmosphère".

Yspadadden remarque: "C’est un roman très factuel qui tourne le dos à l’interprétation pour laisser agir les personnages. Le lecteur peut-être dérouté par le manque d’explications ou d’interprétation, mais il n’en pénètre pas moins le cœur de ces deux êtres." Ce choix de l'auteur (montrer tout, plutôt que tout expliquer) laisse au lecteur une liberté que je trouve appréciable.

Morgane (Carnets noirs) exprime bien ce que beaucoup de lecteurs ont sans doute ressenti: "Il y a des romans qui nous laissent une impression, qui nous enveloppe et nous coupe du monde. C’est ce qu’obtient David Vann dans Sukkwan Island. Il instille une atmosphère, un malaise presque palpable et au dernier moment nous frappe d’une phrase, nous faisant sursauter, relire le passage de surprise: Non, c’est pas vrai?" Il faut en effet poser le livre un instant et se pincer (surtout passé minuit!) pour réaliser le tour que vient de prendre l'histoire.

D'autres avis chez Canel ("Un livre dur, émouvant, marquant. A lire !"), Mic/Noir suspense ("Ce livre, c'est comme une pièce en deux actes ... lorsque le rideau tombe à la fin du premier, le lecteur est sonné. La seconde partie nous entraîne dans un gouffre sans fond."), Isa/Lire-lire-lire ("Je ne peux pas dire que j'ai été happée par l'histoire, je ne me suis pas ennuyée non plus mais c'est loin d'être un coup de cœur..."), Sophie ("Ce roman est prenant, dur et triste à la fois. Je suis passée par tous les sentiments"), Émeraude/Là où les livres sont chez eux (qui n'est visiblement pas adepte du trip "retour à la nature"!). Lystig/L'Oiseau lyre propose un petit glossaire des termes qu'un citadin européen ou québécois ne connaît pas nécessairement (je n'avais pas du tout compris quel outil Roy fabriquait... je n'avais aucune idée de ce qu'était un "bâton à lancer"). Merci à Lystig pour le lien vers In Cold Blog: le billet tout d'abord ("A la fois thriller psychologique et huis clos des grands espaces, Sukkwan Island est tout bonnement imparable. La tension sourd à toutes les pages, le malaise va crescendo, et l’angoisse, comme la pluie qui tombe sans discontinuer, poisse tout sur son passage. ") mais aussi et surtout pour ces propos de David Vann sur le roman (100% spoiler! À lire uniquement après le bouquin). La question du rôle père/fils est peut-être plus complexe que ce que l'on pourrait penser au premier abord...

* * *

Gallmeister viendrait-il, l'air de rien, de m'inoculer le goût du nature writing? À moi, qui me sens mal lorsque le taux de dioxyde de carbone dans l'atmosphère est trop bas, ou qui panique lorsque la nuit est vraiment noire?

Sukkwan Island ne va pas jusqu'à me donner envie de faire du camping en Abitibi ou sur la Côte-Nord (c'est pas demain la veille) mais poursuivre la découverte de ce genre littéraire, ça oui.

[Un grand merci à Gallimard Ltée & Gallmeister pour ce sombre bijou]

vendredi 19 novembre 2010

Pour nous aider à endurer l'hiver

Les prévisions pour les trois premiers mois de 2011 continuent; il faudra penser à ne pas tout dépenser pour Noël!

L'Islandaise Yrsa Sigurdardottir est annoncée en français chez Anne Carrière avec Ultimes rituels, roman que j'ai découvert en anglais sous le titre Last Rituals.

Mari Jungstedt poursuit sa série gotlandaise avec Le cercle intérieur, à paraître cette fois-ci au Serpent à plumes.

Triplé norvégien: Haine, d'Anne Holt, est imminent au Québec (Serpent à plumes). Début 2011 nous pourrons découvrir un nouveau Jo Nesbø intitulé Le léopard (Gallimard) ainsi que L'écriture sur le mur de Gunnar Staalesen (Gaïa). Ça va faire plaisir à certains! ;-)

Le Serpent est en train de se constituer un bel échantillon de littérature policière scandinave; en prime les couvertures sont sympas.

jeudi 18 novembre 2010

Bientôt disponibles

Elle n'avait rien publié depuis 2008.

Avril 2011 verra le retour d'Åsa Larsson avec Till offer åt Molok (En sacrifice à Moloch), cinquième roman de la série Rebecka Martinsson. Gallimard n'étant pas très pressé de poursuivre les traductions, les lecteurs francophones risquent d'attendre longtemps (les curieux ont intérêt à se tourner vers les éditions anglophones).

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Arne Dahl revient chez Seuil avec la troisième aventure du Groupe A: Jusqu'au sommet de la montagne est annoncé pour la fin février 2011.

* * *

Håkan Nesser revient lui aussi chez Seuil, sans doute en mars, avec Eva Moreno.

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Last but not least, Eva Gabrielsson est attendue chez Actes Sud, peut-être en janvier.

La compagne du regretté Stieg Larsson signe un ouvrage au titre accrocheur: Millénium, Stieg Larsson et moi.

jeudi 11 novembre 2010

Tag des quinze auteurs

Un petit tag pour se détendre, à l'invitation de Canel.
Pas exactement mes quinze auteurs préférés (je serais incapable d'établir une telle liste) mais quinze auteurs parmi mes préférés. Dans le désordre le plus complet:

Les plus ou moins anciens: Charles Baudelaire (pas uniquement ses poèmes sur les chats). H.P. Lovecraft, génial inventeur des mythes de Cthulhu. J.R.R. Tolkien vient facilement à l'esprit avec son univers incroyablement fouillé (ma lecture préférée vers 16-18 ans, et il reste bien placé dans mon panthéon personnel). Du fantastique passons à la SciFi avec Frank Herbert et son cycle de Dune (des personnages détestables -des tyrans dotés d'ego monstrueux- mais une histoire prenante et pas mal tordue).

La bande dessinée a également eu sa place dans ma vie de lecteur, grâce notamment à René Goscinny, qui a laissé un bien grand vide à sa disparition. Fluide Glacial est une institution en soi, avec plein de dessinateurs de talent comme Gotlib (sa Rubrique-à-Brac en particulier) ou Gaudelette parmi les petits nouveaux.

J'ai toujours eu un faible pour les polardeuses britanniques, comme Agatha Christie ou Anne Perry. C'est mon côté arsenic & vieilles dentelles.

Toujours britannique, mais plus classique: E.M. Forster, un auteur dont on a reparlé il y a une vingtaine d'années (déjà?!) grâce aux belles adaptations cinématographiques de James Ivory.
Classique, mais scandinave: Pär Lagerkvist (Le Nain a été une de mes lectures les plus marquantes; il faudra que je reparle de cet auteur).

Les polardeux nordiques sont évidemment en bonne place avec en particulier le Suédois Johan Theorin et l'Islandais Arnaldur Indridason, les deux incontournables du genre. Je me sens comme une groupie de quatorze ans à l'approche de chaque nouveau titre... Il ne manque plus que les posters au-dessus du lit (mais là je me suis dit "non, non, non, ce serait too much.")

(Il avance bien, ce prochain roman?)

Stieg Larsson. Sa trilogie a (re)lancé durablement l'intérêt pour les romans policiers "à la scandinave". Rien que pour ça il mérite des louanges.

Côté français francophone, Georges Simenon et son commissaire Maigret. Agréablement rétro. Sur les rives du St-Laurent Michel Tremblay est inévitable, une sorte de trésor national (comme la poutine, mais en nettement plus digeste). Ses Chroniques du Plateau Mont-Royal valent le détour mais j'ai aussi bien aimé Le Cœur découvert et Le Cœur éclaté.

Parmi les essayistes j'apprécie beaucoup certains textes d'André Comte-Sponville ou Richard Dawkins, sans oublier Stephen Jay Gould (hélas disparu en 2002 à l'âge de 61 ans).

Ça fait très fourre-tout et j'en ai oublié, mais on amasse tant de lectures au fil des ans... (et en prime j'ai cité 19 noms au lieu de 15 - tant pis!)

Je passe le relai à Mic de Noir Suspense.

vendredi 5 novembre 2010

Bonne nuit, mon amour - Sobre et sombre


Bonne nuit, mon amour (titre original God natt min älskade), Inger Frimansson, Éd. First, 2010, 393 pages. Traduit du suédois par Carine Bruy.

Justine Dalvik vit seule, dans la maison de son enfance, sur les rives du lac Mälar (dans les environs de Stockholm). Elle partage la demeure avec un gros oiseau qu'elle a recueilli lorsqu'il était encore un oisillon.

Justine n'a pas toujours été chanceuse dans la vie. Souffre-douleur permanent de ses camarades d'école, elle a perdu sa mère lorsqu'elle était enfant; son père, un riche homme d'affaires, a ensuite épousé sa secrétaire de direction, Flora, qui s'est révélée être une marâtre de première catégorie. Papa est mort d'une crise cardiaque, laissant sa fille adolescente aux bons soins de belle-maman chérie. Flora vit désormais à l'état de légume dans une maison de convalescence.
N'oublions pas le grand amour de sa vie, Nathan, mort récemment lors d'une expédition touristique dans la jungle indonésienne.

Justine a un peu la poisse.

Pas découragée par les aléas de l'existence, elle compte bien raviver la flamme de l'amour auprès de Hans Peter, rencontré par hasard lors d'un jogging. Hans Peter vit seul. Il occupe un poste de réceptionniste de nuit dans un hôtel. Pas glamour pour un sou, Hans Peter a trois occupations principales dans la vie: son travail, ses bouquins, et endurer les dîners de famille lorsqu'il rend visite à ses parents.

Le bonheur va-t-il enfin sourire à Justine?

* * *

J'étais très curieux de lire ce roman, qui a reçu le prix du meilleur polar de l'année lors de sa parution en Suède en 1998 (prix décerné par la Svenska deckarakademin). Il est signé par une auteure bien connue dans son pays, où elle écrit des romans pour tous les âges.

À la lecture, je comprends mieux pourquoi les éditeurs français ne se sont pas jetés dessus. Ce roman est en effet un peu inhabituel. Ce n'est pas vraiment un thriller, et ce n'est pas un roman policier proprement dit (un flic fait quelques apparitions dans le dernier quart du bouquin et c'est à peu près tout). First le présente comme un "roman noir" et ça me semble une bonne étiquette pour ce livre. "Roman noir scandinave à suspens", pour être vraiment complet!

Et le mot "scandinave" prend ici tout son sens: peu de scènes d'action; une violence essentiellement psychologique; un nombre limité de personnages; des états d'âme qui se révèlent plus volontiers par les actes, les paroles... et parfois les silences.

C'est du scandinave "pur sucre" en quelque sorte! On y retrouve la même noirceur que chez d'autres auteurs, mais ce n'est pas joyeux comme du Läckberg, ce n'est pas du Stieg Larsson, et on n'y trouve pas de personnage "fort" et attachant comme le Wallander de Mankell ou le facétieux V.V. de Nesser.

Je glisse Bonne nuit mon amour dans la section "coup de cœur" bien que dans ce cas précis il faudrait peut-être parler de "coup de cerveau", le cœur étant assez peu sollicité par ce récit d'une grande sobriété.

* * *
Extrait

Les animaux rendaient Flora malade; ils lui provoquaient des frissons et la nausée. Un chat s'était faufilé dans l'entrée, et elle l'avait chassé à coups de balai, ses poils et sa queue se hérissant.
Quand son père lui avait souhaité bonne nuit, Justine le lui avait raconté.
Son visage se décomposa, et il lui caressa doucement la main, longtemps et doucement.
Soir après soir, elle réclamait un animal de compagnie à son père. Un chat, un chien ou un oiseau. Il l'aurait peut-être accepté, or, il était totalement soumis aux caprices de Flora.
- "Ce sont des sacs à puces et des nids à saletés, disait-elle, tandis que ses yeux de porcelaine peints les fixaient, dénués de pitié. Des bactéries. Des odeurs. Les animaux sont des animaux et ils n'ont pas leur place dans les maisons des hommes."
La fourrure de renard bleu, c'était une autre histoire. Il était mort. Elle la reçut un jour d'hiver, en geste de conciliation. Il fallait souvent apaiser Flora.

* * *

Inger Frimansson n'en avait pas terminé avec Justine Dalvik, qui est donc revenue en 2005 dans Skuggan i vattnet (L'ombre dans l'eau). Roman que les membres de la Svenska deckarakademin se sont empressés de récompenser, lui aussi!

jeudi 28 octobre 2010

Matinée Gallimard & Gallmeister

Travailler dans le monde du livre a de bons côtés (il y en a aussi de moins bons mais évitons de parler d'argent, c'est vulgaire...)

Ce mardi 26 octobre j'étais invité à un petit-déjeuner Gallimard & Gallmeister.

Une collation était aimablement offerte. J'ai courageusement ignoré les croissants (petite victoire personnelle) et me suis contenté de quelques litres de café.

Rolf Puls, directeur de Gallimard au Québec, animait une entrevue avec Oliver Gallmeister (des éditions du même nom) et Jean Mattern, responsable de la collection Du monde entier chez Gallimard.

La causerie a duré près de deux heures, je me contente ici d'un très court résumé. L'ensemble était passionnant, c'était un aperçu enrichissant de la dure (?) vie d'éditeur.

Chacun a tout d'abord résumé son parcours. Jean Mattern a suivi des études littéraires, a travaillé chez Actes Sud avant d'entrer chez Gallimard il y a douze ans. Éditer des bouquins est un choix de carrière qui remonte à loin. Il a récemment exploré le côté lumineux de la Force en publiant deux livres chez Sabine Wespieser: Les bains de Kiraly et De lait et de miel.

Oliver Gallmeister, même s'il se passionne depuis longtemps pour la littérature américaine, a eu une carrière toute différente (la gestion) avant de se lancer dans l'édition en 2005 (premier bouquin publié au tout début de 2006).

Du monde entier, c'est environ 30 à 35 titres par an (une nette diminution par rapport au passé). Gallmeister, dans les 9-10. Ce n'est pas une petite différence! Les deux éditeurs donnent le même conseil à ceux qui seraient tentés par l'aventure de l'édition: viser une niche étroite et s'y tenir; ne pas s'éparpiller, ne pas essayer de couvrir une trop large palette de genres. Gallmeister est un très bon exemple de cette méthode. La maison a une spécialité: la littérature de l'Ouest américain, le "nature writing" contemporain. Une partie du catalogue est consacrée au roman noir version "grands espaces" (avec notamment Craig Johnson, qui semble avoir eu beaucoup de succès dans les salons du livre en France). Une collection format poche (Totem) a été lancée il n'y a pas longtemps.

Autre thème abordé, la traduction. Pour les éditions Gallmeister il n'y a qu'une seule langue d'origine: l'anglais américain. Oliver Gallmeister peut donc intervenir à toutes les étapes du processus, depuis le choix des textes jusqu'à la traduction (qu'il n'effectue pas lui-même mais qu'il supervise apparemment de très près).

Du monde entier
se donne par contre pour mission d'offrir des traductions... du monde entier! La maîtrise de l'allemand (et je crois du néerlandais) permet à Jean Mattern de suivre de près ce qui se passe outre-Rhin (et par ricochet ce qui se publie en Scandinavie, les traductions en allemand étant fréquentes). Mais quid des auteurs lituaniens, slovaques, israéliens, russes ou turcs? Ici entrent en scène les lecteurs de Gallimard (ah, le beau métier). Une soixantaine de personnes (si je me souviens bien) sont chargées de lire les textes dans la langue originale puis de rédiger des rapports de lecture qui aideront l'éditeur dans le processus de choix. Autre source d'information, les institutions culturelles des pays concernés, qui effectuent parfois (à leurs frais puisque cela fait partie de leur mandat de diffusion des cultures nationales) une traduction partielle des textes et les transmettent aux éditeurs français.

Il a bien sûr été question des auteurs "maisons" et de la relation auteur/éditeur. Les deux invités ont loué le professionnalisme des auteurs anglo-saxons. Dans certains cas le rapport entre auteur et éditeur ne va pas au-delà du strict nécessaire (et les contacts se font souvent par l'intermédiaire des agents littéraires), mais les échanges peuvent parfois devenir très chaleureux. Les deux éditeurs ont rappelé que leur cas est un peu particulier puisque leurs auteurs sont tous déjà publiés dans leurs pays et langues d'origine. Il peut toutefois arriver que la traduction française ait plus de succès que l'édition originale (sauf erreur de ma part c'est le cas d'Ellroy, publié en français chez Rivages).

* * *

Dommage que l'entrevue n'ait pas été filmée, cela aurait permis d'en faire profiter plus de monde! Cette instructive matinée m'a donné le goût de découvrir ce fameux "nature writing"... affaire à suivre...

Un grand merci à Anne pour avoir pensé à me faire une petite place! ;-)

vendredi 22 octobre 2010

Prix littéraires : nominations en Suède

Cette année encore la Svenska deckarakademin a dévoilé son choix de finalistes pour les prix de Meilleur polar suédois de l'année et Meilleur polar étranger traduit en suédois cette année.

En lice pour le prix du meilleur polar suédois publié en 2010 :

Camilla Grebe & Åsa Träff: Bittrare än döden (W & W)

Lars Kepler: Paganinikontraktet (Albert Bonniers förlag)

Olle Lönnaeus: Mike Larssons rymliga hjärta (Damm)

Kristina Ohlsson: Tusenskönor (Piratförlaget)

Leif GW Persson: Den döende detektiven (Albert Bonniers förlag)


Leif GW Persson est un "vieux de la vieille" (il a reçu le tout premier prix du meilleur polar suédois en 1982) mais les quatre autres titres sont tous des deuxièmes romans.


En compétition pour le prix du meilleur polar étranger traduit en suédois en 2010 :

Faïsa Guène: Sista Beställningen på Balto (”Les gens du Balto”, trad. Lotta Riad, Norstedts)

Reginald Hill: Dödsmässa (”Midnight Fugue”, trad. Ulf Gyllenhak, Minotaur)

Arnaldur Indridason: Mörka strömmar (”Myrká”, trad. Ylva Hellerud, Norstedts)

Deon Meyer: Devils Peak (”Devil's Peak”, trad. Mia Gahne, Weyler)

Iain Pears: John Stones fall (”Stone's Fall”, trad. Nils Larsson, Brombergs)


On remarque une Française dans la liste, Faïza Guène (1), avec Les gens du Balto.

Le roman d'Arnaldur Indridason -Mörka strömmar- est annoncé en français pour le début de l'année 2011.

Le bouquin de Deon Meyer a été traduit en français sous le titre Le Pic du diable (Seuil).


NOTE :
(1) Le site de la Svenska Deckarakademin orthographie le prénom avec un "s" au lieu d'un "z". Cette erreur vient probablement du fait que le son "z" n'existe pas en suédois: la lettre Z se prononce exactement comme la lettre S.

mercredi 20 octobre 2010

Cognac récompense Keigo Higashino


Chouette! Le prix du polar de Cognac (catégorie "international/roman") est attribué cette année à La Maison où je suis mort autrefois, de Keigo Higashino.

Plus d'infos sur le site de Livres Hebdo.

dimanche 10 octobre 2010

L'Hypnotiseur - Thriller psychologique


L'Hypnotiseur (titre original Hypnotisören), Lars Kepler, Actes Sud, 2010, 510 pages. Traduit du suédois par Hege Roel-Rousson et Pascale Rosier.

Lars Kepler est le pseudonyme d'un couple d'auteurs: Alexander et Alexandra Ahndoril. Il s'agit de leur premier livre écrit en commun.

Erik Maria Bark est psychiatre, "spécialisé dans le traitement des chocs et traumas aigus". Il a travaillé jadis avec des victimes de guerre et/ou de viols, des rescapés de massacres en divers coins de la planète. Son arme secrète, c'est l'hypnose, qui permet au patient d'accéder à des souvenirs très douloureux, enfouis au plus profond de sa mémoire.

Il est tiré de son sommeil, une nuit en décembre, lorsque l'inspecteur de la Criminelle Joona Linna l'appelle. Linna s'occupe d'une affaire qui requiert doigté et célérité. Une famille a été prise pour cible par un meurtrier particulièrement violent: le père, la mère et un des enfants ont été massacrés à l'arme blanche. Le fils Josef, un ado d'une quinzaine d'années, a reçu de multiples coups de couteau mais il vit encore. Linna est persuadé que le tueur veut s'en prendre à toute la famille Ek. Mais l'inspecteur ignore où vit désormais Evelyn, la sœur aînée. Le jeune survivant le sait sans doute, mais il est en état de choc à l'hôpital et reste muet. L'hypnose donnerait peut-être un résultat? C'est ainsi qu'Erik Bark entre en scène.

Erik et sa femme Simone sont au cœur de l'intrigue. C'est un couple étrange, à la limite de la rupture. Erik et Simone ont oublié le plaisir d'être ensemble. Leur unique souci commun est leur fils, Benjamin, un adolescent atteint d'hémophilie.

L'affaire Ek va attirer l'attention des médias sur Bark, ce qui entraînera de bien funestes conséquences pour sa petite famille.

* * *
Bilan de santé

L'Hypnotiseur est un thriller psychologique, à la sauce suédoise (lorsqu'il faut foncer en voiture dans les rues de Stockholm, on fonce, mais prudemment, sans oublier de ralentir à proximité des écoles).

Le récit est efficace, les événements se succèdent à un bon rythme (pour du scandinave c'est carrément un rythme effréné), les coups de théâtre ne manquent pas et cela dès le début du bouquin!

Une grosse invraisemblance au tout début du roman m'a quelque peu chagriné. Le jeune Josef Ek, traumatisé et gravement blessé (hémorragie au foie parmi d'autres problèmes) décide de s'enfuir de l'hôpital. Qu'à cela ne tienne: il débranche sa perf, un drain, se lève, s'habille, file sous le nez du policier chargé de sa sécurité, et parvient même à semer un adulte en parfaite santé aux abords du bâtiment... aïe, aïe, aïe.

La galerie des personnages est haute en couleur. Ils ont tous un petit quelque chose (souvent ils ont simplement un grain!) mais j'ai trouvé Erik Bark apathique et un poil borné. L'inspecteur Linna est plus accrocheur, mais il n'a que le second rôle.

* * *
Et maintenant, je vais compter jusqu'à dix

Si je cherchais un psy, mon choix ne se porterait pas sur Bark. Tout d'abord parce qu'il est en permanence sous l'influence d'une pilule ou d'une autre. Analgésiques ou anxiolytiques, il les avale comme des bonbons.
Son approche de l'hypnose est une autre raison d'être sceptique. Je ne sais pas ce qu'en dirait un spécialiste, mais je trouve étrange qu'un thérapeute se place lui-même en état de transe hypnotique durant la séance... le psy ne doit-il pas garder le contrôle? S'il se met lui aussi à flotter et "voir des choses" comme ses patients, est-ce bien prudent? Par ailleurs, Bark répète à deux reprises que: "il n'y a aucun moyen d'implanter des souvenirs sous hypnose". Peut-être pas, mais la mode de l'exploration des "vies antérieures" grâce à l'hypnose ne suffit-elle pas amplement pour douter de la véracité des "souvenirs" obtenus de cette manière?

L'hypnose permet néanmoins d'épicer l'intrigue, elle apporte à l'histoire sa réputation sulfureuse, son aspect mystérieux, intrigant, un tantinet "vaudouesque". Malgré mon scepticisme envers l'hypnose (telle que l'utilise Bark) j'ai bien aimé les passages où elle intervient.

Petit bémol: les motivations d'un ou deux personnages m'ont paru pas assez "fouillées"; je trouve ça dommage lorsque le héros est psy.

* * *
L'avenir

"Lars Kepler" a déjà donné une suite aux aventures de Joona Linna: Paganinikontraktet (Le contrat Paganini) est sorti en Suède cet été, voir cette présentation en anglais sur le site du groupe Bonnier (dont fait partie l'éditeur suédois, Albert Bonniers Förlag).

* * *
Ailleurs on the ouèbe

L'Hypnotiseur était "presque" une lecture commune avec Canel (elle lit -et rédige- bien plus vite que moi, c'est le moins qu'on puisse dire!)

On peut lire d'autres avis sur la blogo: Là où les livres sont chez eux, Carnets noirs, ou encore sur le site du journal Le Monde (lien découvert chez Lettres exprès)

[Un grand merci à Josée et Léméac/Actes Sud pour cette lecture du tout premier Lars Kepler]

samedi 2 octobre 2010

Nouvelles en vrac

Norbert Spehner est le "Monsieur polar" du Québec. Je vois parfois sa signature dans La Presse, par exemple ce vendredi 1er octobre avec un article sur trois romans de la rentrée, Polars : crimes, jazz et politique-fiction.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont "Scènes de crimes: Enquêtes sur le roman policier contemporain" (Éd. Alire, 2007) et il tient à jour une impressionnante liste d'auteurs nordiques sur le site web de la revue Alibis.

Ils ne doivent pas être très nombreux à avoir lu B317 Agent secret de Bertel Bo (Éd. Siboney, 1948) ou L'Histoire de Gottlob de Torolf Elster (Éd. Nouvelle Édition, 1946).

Une très utile liste de référence, susceptible d'alimenter bien des LALs.

* * *

Autre source de référence et de tentations, le Dictionnaire du roman policier nordique de Thierry Maricourt publié tout récemment chez Encrage (Belles Lettres), collection "Travaux".

Une longue introduction d'environ cinquante pages discute du sujet, puis l'auteur présente les ouvrages des auteurs nordiques classés par pays. La reproduction noir et blanc de quelques couvertures apporte une petite touche agréable, de même les courtes bios consacrées à chaque auteur. Cela permet d'en savoir un peu plus sur Bo Bertel ou Torolf Elster!

L'ouvrage n'a que deux inconvénients: il se limite aux titres traduits en français (exemple: seuls les trois premiers Läckberg sont listés) et il faudra une nouvelle édition mise à jour pour rester "à la page" (le lecteur curieux compensera cet inconvénient en usant et abusant de son bibliothécaire ou libraire préféré).

* * *
À paraître

Les éditions Seuil (collection Opus) annoncent pour le mois de décembre un "combo Mankell" qui regroupera en un seul volume: Meurtriers sans visage, Les chiens de Riga et La lionne blanche. Prix annoncé: 40$. Est-ce que Noël approche?

Nous devrions voir arriver très bientôt (au Québec...) une première traduction d'Elsebeth Egholm: United Victims (oui, c'est bien le titre français) au Cherche-Midi. L'ouvrage est traduit du danois par Didier Halpern.

Le dernier Kathy Reichs va paraître prochainement en français. Le titre sera Os manquant.

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SNCF et Bouchercon

Rien ne bouge encore du côté de la Svenska deckarakademin. En France par contre les paris sont ouverts pour le Prix SNCF du polar de l'automne. Le bouquin des sœurs Grebe & Träff est sur les rails les rangs!

Au fait, à quand un prix Via Rail du polar?

Au sud de la frontière on se prépare pour le Bouchercon 2010. Ils ont même prévu un blog. Au moins une Canadienne (Louise Penny) et un Suédois (Stieg Larsson) sont en nomination pour l'Anthony Award.

Le "toastmaster" sera Eddie Muller. Mais qu'est-ce donc qu'un "toastmaster"?!

mercredi 29 septembre 2010

Le Septième fils - Blues au fond d'un fjord


Le Septième fils (titre original Sjöundi sonurinn), Arni Thorarinsson, Éd. Métailié, 2010, 350 pages. Traduit de l'islandais par Éric Boury.

Troisième ouvrage de la série Einar. J'ai noté dans le cours du récit une brève référence à un ouvrage non traduit de la série, la Lune bleue, Blátt tungl. Fort heureusement le fait de ne pas connaître l'intrigue de Blátt tungl a pour seule et unique conséquence la -légère- frustration du lecteur.

J'ai retrouvé avec grand plaisir dans ce roman tout ce qui fait le charme des bouquins de Thorarinsson: un héros sympathique, une ironie très présente, un aperçu des réalités islandaises (le roman a été écrit peu de temps avant la crise économique de 2008 qui a frappé l'Islande de plein fouet). Les petites notes ajoutées çà et là par le traducteur sont toujours aussi utiles.
"- Tu es satisfait de ce que tu as accompli?
- Oh non, répond-il, et les épaules de celui qui fut autrefois un militant charismatique s'affaissent lourdement. Oh que non, je me dis parfois que l'Islande est devenue une nation qui a perdu tout sens de l'État.
- Et qu'est-ce qui a remplacé l'État?
- Le marché."
Le détesté et très radin Trausti Löve, rédac' chef du Journal du Soir, envoie Einar faire un reportage dans la région des fjords de l'ouest, plus précisément à Isafjördur, bien loin de sa base habituelle d'Akureyri.

Travail journalistique de routine: présenter la ville, ses perspectives économiques, les gros problèmes liés aux quotas de pêche, les craintes et les espoirs suscités par le projet de raffinerie pétrolière, et bien sûr prévoir une entrevue avec le maire. Les faits divers ne sont pas à négliger non plus, et Einar va s'intéresser à l'incendie d'une ancienne maison dans le vieux quartier d'Isafjördur. Incendie accidentel ou criminel? Quel est le petit malin qui a déféqué sur la tombe de Kiddi du Kjölur, bâtisseur de la maison? Rien de très palpitant a priori, mais les événements se précipitent rapidement: deux cadavres carbonisés sont retrouvés dans un camping-car volé à des touristes lituaniens. La mafia des anciens pays de l'Est serait-elle impliquée? Règlement de compte chez les trafiquants de drogue? Et qui sont les victimes?

Einar va se trouver un "nounours" (c'est le nom qu'il donne à ses informateurs policiers) à Isafjördur grâce aux nombreuses connexions d'Oligisli, le commissaire d'Akureyri. Brandur Brandsson est un brigadier-chef vieillissant, volontiers ronchon et franchement conservateur. Il consomme plus d'alcool qu'il ne fournit de renseignements, mais son appui sera fort utile à notre journaliste.
"Everybody cryin' 'bout the seventh son / In the whole round world there is only me / And I'm the one, I'm the one / I'm the one, I'm the one / The one they call the seventh son..."
En plus de fournir une intrigue bien ficelée, Arni Thorarinsson promène ses lecteurs dans une Islande urbaine, très actuelle. Le regard d'Einar est souvent ironique, frôle parfois le cynisme, mais il est un bon observateur de son cher pays et de ses habitants.

Petite difficulté pour le lecteur francophone, l'abondance de noms de personnes et de lieux. Immersion islandaise garantie! Heureusement on s'habitue vite à la manie islandaise des surnoms (Karl - Kalli, Sigurdur - Siggi, Oddny - Odda, etc.) et la logique de la langue permet d'apprivoiser une bonne partie de ces mots bizarres (..........dalur désigne une vallée, ........gata ou ........straeti une rue, .........skogur un bois/une forêt, et ainsi de suite).
"- Quant aux enfants, ils s'appliquent à singer leurs parents.
- Et se prosternent à leur tour devant le dieu de l'argent."
Le Septième fils n'a pas de personnage aussi remarquable que la Victoria du Dresseur d'insectes, mais le lecteur croise avec plaisir Brandur Brandsson, la commissaire Alda Sif et son jeune fils Grimsi, l'ancienne candidate de télé-réalité Oddny surnommée Oddny Idol, le joueur de football Karl Olafsson, le préfet Olli dit La casquette, et bien d'autres.

Les romans d'Arni Thorarinsson accompagnent fort bien ceux de son célèbre compatriote Arnaldur Indridasson. Ils offrent un autre regard sur l'Islande, de bonnes intrigues, des personnages bien campés... j'en redemande!

[Merci encore à Mathieu, Dimedia et les éditions Métailié, pour ce roman]

lundi 27 septembre 2010

Séries - Anna Jansson

Code couleur: suédois / français
Éditeur français: Toucan

Série Maria Wern
  1. Stum sitter guden, 2000 / Le Pacte boréal, 2010 (billet)
  2. Alla de stillsamma döda, 2001
  3. Må döden sova, 2002
  4. Silverkronan, 2003
  5. Drömmar ur snö, 2004
  6. Svart fjäril, 2005
  7. Främmande fågel, 2006 (n) / L'Inconnu du Nord, 2009
  8. Pojke försvunnen, 2007
  9. Inte ens det förflutna, 2008
  10. Först när givaren är död, 2009
  11. Drömmen förde dej vilse, 2010
  12. Alkemins eviga eld, 2011
  13. När skönheten kom till Bro, 2012

(n) nominé pour le prix du meilleur roman policier de l'année

mercredi 22 septembre 2010

Nouvelles en vrac

Les Parisiens vont avoir de la belle visite: la Bibliothèque nationale de France organise une journée d'étude judicieusement intitulée "À glacer le sang: autour du polar scandinave" le 29 septembre.
Parmi les invités, des noms qui donnent envie de sauter dans un avion: Arni Thorarinsson, Håkan Nesser, Kjell Eriksson et... Johan Theorin! Comme dirait Caliméro: c'est vraiment trop inzuste!

Des traducteurs seront présents (Éric Boury et Philippe Bouquet notamment).
Détail intéressant: l'entrée est libre.

* * *

Le prochain Läckberg aura pour titre L'Enfant allemand (voir le billet de la VO). La date de parution annoncée est le 5 janvier 2011, chez Actes Sud.
Juste après Noël? Bizarre.

* * *

Du côté du Canada, Louise Penny, Québécoise anglophone, est publiée pour la première fois en français avec En plein cœur, traduction de Still Life publié initialement en 2005.

Still Life a raflé quelques prix, dont la New Blood Dagger britannique (CWA, 2006) qui récompense un premier polar.

En plein cœur est édité par Flammarion Québec.

jeudi 16 septembre 2010

La Malédiction des anges - Du rififi au couvent


La Malédiction des anges (titre original: Angelology) de Danielle Trussoni, Éd. Fleuve Noir, 2010, 545 pages. Traduit de l'anglais par Vincent Hugon.

Il existe une bande-annonce, voir le billet précédent.

Détail intéressant, l'auteure (née dans le Wisconsin) vit dans le sud de la France.

La Malédiction des anges peut faire penser au Da Vinci Code (pour la quête à saveur religieuse), ou pourquoi pas à Rick Riordan (pour le croisement entre la mythologie et notre réalité moderne, mais c'est là leur seul point commun).

Chez le même éditeur il m'a un peu rappelé La Librairie des ombres, qui nous transporte sur une Terre alternative où certains personnages ont des caractéristiques qui les distinguent des humains "normaux".

* * *
T'as de belles plumes, tu sais

En bref, l'intrigue oppose deux camps irrémédiablement opposés. D'un côté les Nephilim, êtres mythiques qui résultent d'un croisement entre des anges et des humains (cf. Genèse 6,4); de l'autre des angéologues, spécialistes du sujet, qui depuis plusieurs siècles luttent contre les premiers. Hormis les angéologues, l'immense majorité des humains ignorent tout de la vraie nature des Nephilim.
Genèse 6,4 : "Les géants étaient sur la terre en ces temps-là, après que les fils de Dieu furent venus vers les filles des hommes, et qu'elles leur eurent donné des enfants: ce sont ces héros qui furent fameux dans l'antiquité"
Ces anges qui, avant le Déluge, avaient courtisé "les filles des hommes" étaient devenus mauvais. Ces "Veilleurs" déchus, dont la mission à l'origine était de veiller sur la Création, ont été punis par décret divin. Ils ont été jetés et enchaînés au fond d'une grotte obscure, dans l'attente de leur jugement. Leur nombreuse descendance (qui a trouvé un moyen de survivre au Déluge) ne vaut pas mieux qu'eux.

Le récit nous montre des créatures mauvaises mais qui ont gardé toutes les caractéristiques de l'ange tel qu'on se l'imagine. Dans ce roman la beauté céleste va donc volontiers de pair avec la cruauté. Comme leurs ancêtres déchus, les Nephilim ont des boucles blondes et des pensées noires. L'auteure prend ainsi le mythe des anges à rebrousse-poil (ou plutôt à rebrousse-plume). Cela donne bien du fil à retordre au lecteur, car traditionnellement l'aspect angélique est associé aux concepts de bonté et de bienveillance.

Les Nephilim sont puissants, en plus d'être méchants et égoïstes. Une conséquence immédiate en découle: ils occupent des postes de pouvoir. Familles régnantes et vieilles dynasties, États-majors, directions de multinationales, ils font concurrence aux humains dans les plus hautes sphères de la société. Heureusement pour leurs adversaires, ils ne sont pas très malins. Les possessions matérielles et la splendeur de leurs ailes sont les seules choses qui intéressent ces drôles de semi-anges; l'intellect n'est pas leur point fort. Leurs buts: maintenir leur position dominante et trouver un remède à la dégénérescence dont certains d'entre eux commencent à souffrir, conséquence des multiples croisements avec les Hommes.

Les angéologues ne sont pas pauvres non plus (ils ont un côté très "bon chic bon genre") mais ils misent avant tout sur leurs connaissances et leur courage pour atteindre leur objectif: libérer l'humanité des parasites que sont les Nephilim.

Dieu et ses anges (les bons) sont au Ciel. La Terre est un ring et l'arbitre a pris sa pause. Qui va l'emporter?

* * *

Une grosse difficulté avec les mondes alternatifs, c'est de pouvoir les rendre suffisamment cohérents.

Avec La Malédiction des anges, le défi était de taille et l'auteure s'en sort plutôt bien, s'appuyant sur des récits mythiques comme le livre d'Hénoch. De longs chapitres nous aident à nous familiariser avec l'angéologie et l'univers alternatif sur lequel elle repose. Dans un tel univers, les anges -et surtout leurs rejetons- sont réels, ils ont un corps, des organes reproducteurs, et on peut même les disséquer (voilà qui met un terme au débat sur le sexe des anges). Ils sont non seulement capables de voler mais peuvent conduire une voiture de luxe, ou prendre l'ascenseur lorsqu'ils veulent changer d'étage sans se faire remarquer par les humains.

Si je n'ai pas de problème particulier pour accepter la géologie antédiluvienne ou la musicologie céleste, j'ai tout de même grincé des dents à certaines occasions.

Par exemple, les ailes des Nephilim. Ils en sont très fiers et adorent les exhiber lorsqu'ils sont entre eux. Dans d'autres circonstances (notamment lorsqu'ils interagissent avec les humains) ils les "replient" dans leur corps. Les ailes sont visibles et bien concrètes (il suffit de les briser pour tuer un de ces monstres) mais elles passent sans problème à travers les couches de vêtements, ce qui est pour le moins contradictoire.

Autre exemple: les pompiers de l'État de New York n'ont pas la réputation d'être des lambins. Lorsqu'une bâtisse flambe on doit bien voir arriver rapidement un ou deux de leurs camions? Même en zone rurale, des voisins ou simples curieux vont s'approcher pour observer l'incendie ou proposer de l'aide? Dans une scène pleine d'action du roman on a bien un gros incendie, des créatures qui volent dans tous les coins, des dizaines de cadavres à planquer après les combats, et pas le moindre badaud ne pointe le bout de son nez. Quant aux corps, ils sont tout simplement balancés dans la rivière Hudson, ni vu ni connu.

Même dans un monde alternatif, ces petits détails passent difficilement.

* * *
My name is Clochette, Célestine Clochette!

Un aspect charmant -et parfois déconcertant- du roman, ce sont les noms des héros.
Les prénoms "angéliques" abondent, notamment chez les angéologues (n'oublions pas que seuls les Veilleurs sont mauvais): la jeune ingénue du couvent Sainte-Rose, Évangéline, est fille d'Angela et petite-fille de Gabriella. Les Nephilim, eux, portent des noms improbables qui leur vont très bien: Percival, Sneja, Otterley.

Une partie de l'action se déroule en France, et plusieurs personnages ont des noms français. Mais ils sonnent parfois bizarrement à une oreille française, comme Sabine Clémentine.

On retrouve un Verlaine dans le rôle du jeune premier plein de fougue (RJ Ellory avait donné ce nom à un des personnages de Vendetta).

Mais d'où sort Célestine Clochette? À chaque fois que son nom apparaît, je pense à Peter Pan...

* * *

En conclusion, La Malédiction des anges fera le bonheur des lecteurs qui aiment les réalités alternatives fantastico-mystico-religieuses, les longues descriptions, et qui n'ont pas peur d'avaler deux volumes. La fin du roman appelle en effet très clairement une suite, qui est en cours d'écriture et s'intitulera Angelopolis.

Un film est en prévision chez Columbia Pictures.

Petit ajout: les filles de Bokhora à Stockholm (un site consacré à la littérature) ont eu droit à une livraison très spéciale lors de la sortie de l'édition suédoise du bouquin... cliquer sur le lien pour voir ça.

[Un grand merci à Suzanne, ainsi qu'à Fleuve Noir, pour la découverte de cette auteure.]

mercredi 8 septembre 2010

La Malédiction des anges : la bande-annonce

Concernant les bandes-annonces en français, voici celle de La Malédiction des anges de Danielle Trussoni chez Fleuve Noir (lecture en cours):



Si quelqu'un reconnaît le chant...

mardi 7 septembre 2010

Tyskungen / L'Enfant allemand - Camilla Läckberg


Tyskungen ("Le petit allemand" ou "L'enfant allemand") de Camilla Läckberg, éd. Forum, 2007, 409 pages.
[Mise à jour janvier 2011, le titre français est bien L'enfant allemand. Paru chez Actes Sud, 2011, traduit du suédois par Lena Grumbach, 400 pages.]


Ce volume est le cinquième de la série Erica Falck, qui à ce jour compte sept titres. Pour la publication en français de l'ouvrage il faudra sans doute attendre l'an prochain (le "gros" Actes Noirs de l'automne sera L'Hypnotiseur, de Lars Kepler).

Le récit de Tyskungen reprend là où l'Oiseau de mauvais augure se terminait. Erica découvrait une médaille nazie (plus précisément une croix de fer de 1re classe qui doit ressembler à ceci), une layette tâchée de sang séché et quelques journaux intimes dans un coffre ayant appartenu à sa mère, Elsy.

Les lecteurs réguliers de Läckberg le savent déjà, Erica et sa sœur Anna n'ont jamais eu d'excellents rapports avec Elsy. C'était une femme plutôt froide, très peu portée sur les câlins et les sourires. Dans la famille Falck, c'est le père qui était chaleureux et aimant.
Les deux parents sont morts dans un accident, peu de temps avant le début de La princesse des glaces, premier titre de la série.

La lecture des journaux intimes d'Elsy, rédigés entre 1943 et 1945 lorsqu'elle était adolescente, révèle une personne très différente de la mère qu'Erica a connue. La jeune Elsy était enthousiaste, avait des amis, et malgré les difficultés causées par la guerre elle voyait l'avenir avec confiance.

Erica va s'efforcer de comprendre qui était cette Elsy qu'elle n'a jamais connue, et pourquoi elle a si radicalement changé à l'âge adulte.

Dans l'espoir d'expliquer la présence d'une décoration nazie dans les affaires de sa défunte mère, Erica frappe à la porte d'Erik Frankel, un historien qui est né et réside toujours à Fjällbacka. C'est à cette occasion que le crime s'invite de nouveau dans la vie d'Erica: deux mois après sa visite chez le vieil homme, on découvre le cadavre de celui-ci.

Le récit voit se croiser les recherches personnelles d'Erica et l'enquête policière sur la mort de Frankel, le passé et le présent.

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"Les vieux ossements doivent reposer en paix"

La tension monte tout doucement au début, puis le rythme des événements et des révélations s'accélère. Chaque chapitre est constitué de sections courtes qui permettent de suivre les actions des différents personnages, et se termine avec un aperçu du passé de la jeune Elsy. C'est un découpage habituel chez Läckberg, très "visuel", très rythmé, qui entretient la curiosité (et la frustration) du lecteur et lui donne le goût de vite tourner la page afin de découvrir la suite.

La vie intime du couple Erica/Patrik a toujours une place importante. Bébé Maja a maintenant un an, sa maman se remet à l'écriture, c'est donc au tour de Patrik de prendre un congé paternité pour s'occuper de la petite. Ce sera l'occasion pour le malheureux de se faire sévèrement et fréquemment critiquer par son épouse. Il faut dire que pour un policier, Patrik manque parfois singulièrement de flair... accepter un rendez-vous "promenons nos bébés ensemble" avec son ex-conjointe, sans en parler auparavant à sa femme, c'est ce qu'on appelle chercher les problèmes!

L'humour est bien présent dans ce volume aussi, ce qui donne un résultat assez pétillant. La juxtaposition entre les événements dramatiques et le comique des situations ou de certains personnages (eh oui, Bertil Mellberg est toujours fidèle au poste) plaira à bien des lecteurs, mais pas à tous.

En fait, c'est simple: ceux qui ont aimé les bouquins précédents apprécieront sans aucun doute celui-ci, et ceux qui n'étaient pas satisfaits le resteront car ce livre n'est pas fondamentalement différent de ses petits frères.

Petite note pour ceux qui se posent la question (c'était mon cas en attaquant la lecture). Oui, les cafetières sont toujours aussi souvent sollicitées!

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Thèmes récurrents

On retrouve dans Tyskungen des thèmes chers à Camilla Läckberg.

Tout d'abord la question du bien et du mal. La différence entre "bien" et "mal" est-elle nette et tranchée, noir/blanc, ou bien le monde est-il plutôt un dégradé de gris, le mal inextricablement mêlé au bien? La justice, l'expiation, le pardon (et leurs contraires...) sont intimement liés à ce premier thème.

Ensuite, il y a l'implacable enchaînement des causes et des effets. Tel événement a des répercussions immédiates et directes, mais peut aussi avoir des effets "ricochet" imprévus, dévastateurs, et affecter la vie de bien des gens à travers les années. Läckberg adore jouer avec le destin de ses personnages et dans ce cinquième roman elle s'en donne à cœur joie.

Enfin, les bonheurs et les affres de la maternité ont ici encore une grande place. On assiste à pas moins de deux accouchements et il est souvent question de couches. Courage, les hommes ;-)

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La Suède et la guerre

Tyskungen nous donne un très bref aperçu de la Suède durant la guerre. Le pays était resté neutre, en grande partie par crainte de subir le même sort que le Danemark et la Norvège, mais bien évidemment la Suède n'a pas échappé à certaines conséquences, par exemple des difficultés d'approvisionnement. Pour les localités de pêcheurs (comme Fjällbacka) la présence de mines près des côtes était une menace bien concrète.

On trouve maintes informations sur Wikipedia. Comme souvent, la version anglaise est plus détaillée que l'article en français. J'y découvre ce slogan malin du temps de la guerre, inspiré par la peur des espions: En svensk tiger.
Cette courte phrase peut signifier "Un tigre suédois" (d'où le dessin) mais aussi "Un Suédois se tait" (tiger peut être soit le nom commun tigre, soit le présent du verbe tiga, se taire).



[Participe au challenge Lire en VO]