Les sorciers, vampires et loups-garous étant déjà pris par d'autres auteurs,
Rick Riordan a eu une idée intéressante: réactualiser les vieilles légendes grecques.
Tout est néanmoins chamboulé et adapté à un (jeune) public du XXI siècle, qui n'a que rarement eu l'occasion d'entendre parler de la Grèce (antique ou moderne). Riordan plante donc le décor aux USA, principalement du côté de New York avec des excursions à Washington, Las Vegas, Los Angeles, San Francisco, etc. Le calcul n'est pas mauvais car la géographie de la
Grosse Pomme est plus connue que celle d'Athènes. Les puristes, à l'inverse, pourraient s'en indigner.
Dans le monde de Percy Jackson, les dieux grecs et autres créatures mythiques existent et se mêlent toujours des affaires des Hommes. Plutôt que transporter les lecteurs dans les ruines de Sparte et les collines d'Ithaque, l'auteur a tout simplement déménagé l'Olympe et les dieux à New York. C'était osé.
Riordan est bien évidemment obligé de justifier un si radical changement de résidence. Voilà en gros l'explication fournie: jadis la Grèce était au cœur de la civilisation, et les dieux étaient au cœur de la Grèce. Mais avec le temps et les aléas de l'Histoire le "centre" de la civilisation occidentale s'est déplacé: Rome, Paris, Londres (etc...) ont pris le relais d'Athènes. L'Olympe a accompagné le mouvement, la montagne sacrée a régulièrement changé de code postal. Aujourd'hui, c'est New York qui est la métropole occidentale la plus remarquable au sein du pays le plus puissant, et c'est donc au-dessus de ses buildings que plane l'Olympe.
Une fois accepté ce postulat de base (ça risque de renâcler du côté de St-Germain-des-Prés), le reste suit assez facilement. Après tout, il n'est pas plus difficile d'accepter un Olympe baladeur que des vampires romantiques ou des écoles de sorciers!
Les lecteurs qui se souviennent de leurs classiques grecs sont avantagés; ils devineront facilement, par exemple, qui se cache derrière la belle C.C. et pourront discuter des mythes grecs avec leurs rejetons. Pour le barbare moyen -dont je suis- le récit garde son suspense tout en ayant une familiarité certaine. Même si nos lectures de jeunesse sont oubliées depuis longtemps, les Hespérides, la Chimère, Atlas, Tantale et son supplice, Pan et ses satyres, Pégase, tous ces noms nous sont plus ou moins familiers.
Les puristes ont ici une occasion en or à saisir:
Percy Jackson and the Olympians remet au goût du jour une littérature souvent jugée ennuyeuse et dépassée. Les mots "
Odyssée" ou "
Homère" évoquent plus volontiers des lutrins poussiéreux et des vieux profs barbants que des héros cools et des aventures palpitantes. Grâce à la saga de Riordan, le lecteur pourra se rappeler (ou apprendra) que les légendes grecques sont pleines de meurtres, de trahisons, d'amours contrariées, de monstres, de tonnerres et d'éclairs, d'armes fabuleuses, de parricides et -cerise sur le sunday- de cannibalisme doublé d'infanticide (le titan Chronos avait pour habitude de bouffer ses enfants; cela ne portait guère à conséquence puisqu'ils étaient immortels mais ça a durablement plombé l'ambiance dans la famille).
Les dieux eux-mêmes ne changent guère (normal, ils sont immortels). Adaptation oblige, l'Olympe et ses habitants ont des petits côtés "
Loft Story". Arès est un motard belliqueux, la sulfureuse Aphrodite trompe toujours son époux Héphaïstos dans les endroits les plus improbables (un aquaparc!), Apollon est un bellâtre amateur de bolides qui ne quitte jamais ses Ray-Ban, Zeus se met toujours aussi facilement en rogne, Poséidon a adopté le look bermuda/chemise hawaïenne, etc. Tout ce petit monde s'est adapté à sa nouvelle terre d'accueil; Hadès a même installé
ses pénates sous Los Angeles. Hollywood porte des Enfers, il me semble avoir déjà vu ça quelque part...
Percy Jackson, comme plusieurs autres personnages, est un demi-dieu (il est fils de Poséidon et d'une mortelle), un héros sur le modèle de
Persée, dont il porte le nom (Perseus = Percy). C'est un gentil petit gars amateur de jeux vidéo et de malbouffe, plutôt content d'avoir des superpouvoirs, mais très pataud avec les filles. Petite remarque en passant: le monde de Riordan, contrairement à l'original grec, est résolument et exclusivement hétérosexuel. La sexualité n'est bien sûr pas explicite mais elle n'est pas absente de l'intrigue: on apprend par exemple que Zeus ne se prive pas de cocufier Héra, mais uniquement avec de belles femmes ou avec des nymphes. Pas la moindre trace de
Ganymède ou autre mâle tentateur. Les dieux grecs -et les héros qu'ils engendrent- ont laissé leurs mœurs "bigarrées" sur le Vieux Continent. Mieux que les pizzas et le
Pepsi Light, c'est ce genre de détails qui nous rappelle que nous sommes en train de lire une histoire du XXIe siècle après Jésus-Christ, avec un habillage pseudogrec. Le résultat n'est toutefois pas mauvais du tout puisqu'on retrouve tout ce qui fait l'intérêt d'une intrigue: amours, amitiés, trahisons, complots et combats, on n'a pas le temps de s'ennuyer! On perd toutefois en authenticité ce que l'on gagne en bienséance.
* * *
Une aventure en cinq volumes
La série se compose de cinq livres (à ce jour je n'ai lu que les trois premiers):
The Lightning Thief (
Le Voleur de foudre): Percy, jeune new-yorkais en pension dans une école pour "cas difficiles", découvre sa véritable nature et l'identité de son papa (Poséidon). Il commence alors sa formation de demi-dieu au "
Camp Half-Blood" sur Long Island (un camp de vacances pour jeunes demi-dieux) Le camp est dirigé par le très blasé
Mr D., alias Dionysos. Celui-ci n'est pas là par vocation (il n'aime guère les enfants) mais à cause d'une punition imposée par Zeus. Percy se fait quelques bons amis ainsi que de solides ennemis que l'on retrouvera dans les volumes suivants. Il met au jour un sombre complot qui menace l'Olympe, et par conséquent le monde tel que nous le connaissons.
The Sea of Monsters (
La Mer des monstres): le plus "odysséen" des trois premiers volumes. Percy part en mer secourir son vieux pote Grover en compagnie de la futée Annabeth, fille d'Athéna. La lutte du bien contre le mal se poursuit. La fin est très astucieuse!
The Titan's Curse (
Le Sort du titan): le plus complexe parmi les trois premiers. Le plus sombre aussi puisque, pour la première fois, au moins un personnage meurt (s'il existe quelque chose comme la mort dans cet univers magique peuplé de divinités). Les héros sont confrontés à leurs petits défauts; l'un d'eux doit affronter son appétit pour le pouvoir. Succombera? Succombera pas?
The Battle of the Labyrinth et
The Last Olympian terminent la série.
Percy Jackson and The Olympians est publié en anglais chez Hyperion Books (format paperback disponible pour les
trois quatre premiers volumes). Albin Michel édite la série en français, le format poche sort petit à petit chez Hachette.
Le héros vieillit et évolue (un peu) d'un tome à l'autre: Percy commence son périple à l'âge de 12 ans, et prend une année avec chaque bouquin (exactement comme Harry Potter).
Liens:
Canel-Junior est en train de lire la série en français. Il a pris une bonne avance puisque le
billet sur la Bataille du Labyrinthe est déjà prêt. Bladelor d'
Oceanicus in Folio discute du premier volume, et donne son avis sur le film.
Pour poursuivre la lecture sur le sujet: on trouve facilement dans des éditions de poche les grands classiques de la littérature grecque, et notamment
L'Iliade et
L'Odyssée d'Homère (y compris des éditions pour la jeunesse chez
Hachette ou Nathan:
L'Odyssée,
Hercule,
Persée et la Gorgone, et bien d'autres).
Rick Riordan a commencé au printemps 2010 la publication des
Kane Chronicles (premier volume:
The Red Pyramid). La recette semble la même, appliquée cette fois à la mythologie égyptienne.