mardi 22 décembre 2009

Le diable aime les cœurs... saignants


Bleeding Heart Square, d'Andrew Taylor, publié cette année en format de poche chez Penguin Books, 16$ (édité initialement chez Michael Joseph, UK, 2008).

La traduction suédoise du roman (Det blödande hjärtat) a obtenu le prix du meilleur polar étranger 2009 en Suède.

Une traduction française serait en gestation au Cherche-Midi. À surveiller. Mise à jour mars 2011: l'édition française vient de paraître: Le Diable danse à Bleeding Heart Square, Éd. Le Cherche Midi.

L'histoire se déroule à Londres, en 1934, à l'époque du roi George V (grand-père paternel de la reine Élisabeth II).

La Grande-Bretagne est sortie victorieuse de la Première Guerre mondiale mais a payé un prix élevé. La crise économique de 1929 a suivi. Au début des années trente la vieille société victorienne craque de toutes parts et la Deuxième Guerre qui approche achèvera de transformer radicalement la société britannique. La fin de l'Empire britannique approche elle aussi. L'Inde, joyau de la Couronne (à l'époque elle englobe le Pakistan et le Bangladesh) deviendra indépendante en 1948.

Andrew Taylor situe son roman à cette époque charnière, entre les deux guerres mondiales, un an après l'arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne.

* * *

Lydia Langstone n'est pas très heureuse en mariage. Son mari, Marcus, la considère comme sa propriété. Une brève altercation et deux violentes gifles décident Lydia à faire sa valise. Elle ne peut pas se tourner vers sa famille ou ses amis, car ils sont aussi la famille et les amis de Marcus et elle sait trop bien quelle serait leur réaction. Dans la bonne société londonienne en 1934, une femme doit savoir s'accommoder des "sautes d'humeur" de son époux. Le confort et la sécurité sont à ce prix. Il est surtout impératif de sauver les apparences en toutes circonstances afin de ne pas susciter les ragots. Le roman donnera quelques exemples de ce qu'une personne peut faire pour protéger sa réputation.

Tournant le dos à sa cage dorée Lydia part, bien décidée à ne plus revenir. Elle va sonner à la porte de son père, le capitaine Ingleby-Lewis, qu'elle n'a pour ainsi dire jamais connu. Son père a quitté le foyer bien des années auparavant. Sa mère s'est remariée et est devenue Lady Cassington.

C'est ainsi que Lydia Langstone arrive au 7, Bleeding Heart Square. L'endroit est un cul-de-sac plutôt miteux fermé au sud par une chapelle et un portillon donnant sur Rosington Place. Au nord se trouve un pub où le capitaine Ingleby-Lewis a ses habitudes, The Crozier, et l'accès à la rue.

La prise de contact avec la réalité est rude. Lydia n'avait auparavant jamais eu besoin de fournir le moindre travail, les serviteurs se chargeant de tout. Ses seules obligations étaient sociales. La voici désormais sans un sou (hormis quelques rares bijoux qu'elle a pensé à emporter). Son père, dont le principal loisir consiste à s'imbiber d'alcool, voit arriver cette fille oubliée sans grand enthousiasme.

Mais Lydia va faire face aux difficultés, apprendre les règles de son nouvel univers, et parviendra à gagner quelques rares alliés (très inattendus parfois) dans un monde où le chacun-pour-soi et le cynisme ne sont pas rares.

Elle rencontrera notamment le jeune Rory Wentwood, un ex-journaliste sans emploi de retour des Indes. Ce n'est pas par hasard que ce dernier s'installe au numéro 7. Il s'inquiète en effet pour la tante de sa fiancée. La tante, une certaine Miss Philippa Penhow, était l'ancienne propriétaire de l'immeuble mais elle n'a plus donné signe de vie depuis quatre ans. Rory pense pouvoir aider un policier, le Sergent Narton, qui ne croit pas à la version officielle selon laquelle Miss Penhow se serait enfuie aux États-Unis refaire sa vie.

Lydia et Rory s'intéresseront aux secrets qui entourent les lieux, et notamment ceux du bourru nouveau propriétaire Joseph Serridge, ancien "ami de cœur" de Philippa Penhow. Mais parfois, à trop se mêler des affaires d'autrui, on en subit les conséquences. Pas toujours agréables.

À ce récit principal -riche en rebondissements- s'ajoutent deux autres voix. Tout d'abord celle de Miss Penhow elle-même grâce à des extraits de son journal intime datant de l'année 1930; journal intime qui a disparu en même temps que sa propriétaire. Une autre voix commente ces extraits.

* * *

... don't go of a night into Bleeding Heart Square. It's a dark, little, dirty, black, ill-looking yard,
With queer people about... [en exergue du roman]

Bleeding Heart Square est un très bon roman dont on sort presque à regret. L'ambiance est très prenante, étouffante par moments. Les personnages sont touchants, vivants et crédibles. Le récit est dense, la logique interne impeccable.

Andrew Taylor a longtemps "mûri" cette histoire. Penguin a eu l'excellente idée d'inclure une annexe de quelques pages dans laquelle l'auteur raconte la genèse du roman. De nombreux éléments sont en effet tirés du monde réel, à commencer par Bleeding Heart Square et Rosington Place (où Lydia trouve son premier emploi) qui sont inspirés par Bleeding Heart Yard et Ely Place (voir la photo de droite, qui ressemble beaucoup à la description de Rosington Place; source "Margaret in London").

Certains personnages et événements sont issus des souvenirs d'enfance de l'auteur. Sa grand-mère lui avait raconté jadis une histoire qui, bien plus tard, a donné naissance à Miss Philippa Penhow.

Enfin, l'Histoire (avec un grand H) a sa place dans le roman. Lydia Langstone et Rory Wentwood ont l'occasion de rencontrer les peu sympathiques militants de la British Union of Fascists de Sir Oswald Mosley.

Mon conseil: guettez la traduction française, ou optez pour la version originale en anglais. 467 pages très british vous attendent. À savourer with a nice cuppa tea, bien sûr.


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2 commentaires:

kathel a dit…

Si ce n'était les 467 pages qui me font reculer, je serais tentée... je vais peut-être attendre la traduction ! ;-)

Paul Arre a dit…

J'ai peut-être eu tort de révéler le nombre de pages :-)

Dans ce billet je me contente de résumer le tout début du bouquin. Il se passe bien des choses. Le rythme est paisible et ce n'est pas un polar "classique" avec commissaire et autopsies mais il n'y a pas de longueurs, on ne s'ennuie pas (à condition d'aimer ce style de romans bien sûr).