mercredi 2 décembre 2009

Flickorna i Villette - Les filles de Villette

Les récentes nominations de la Svenska Deckarakademin en 2009 (voir ici) ont attiré mon attention sur Flickorna i Villette, d'Ingrid Hedström, édité par Alfabeta. L'auteure avait en effet reçu le prix du meilleur premier roman en 2008 pour Lärarinnan i Villette (L'enseignante de Villette). Aucun des deux n'est annoncé en langue française pour le moment.

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L'auteure

Ingrid Hedström est journaliste de profession; elle travaille actuellement au sein du quotidien suédois Dagens Nyheter et est spécialiste des affaires européennes.

Dans le cadre de son métier elle a vécu à Bruxelles (plus précisément à Uccle, dans l'agglomération de la capitale) entre 1992 et 1997.

Dans cet article du DN, elle révèle avec humour que c'est la politesse des Belges qui l'a le plus marquée. Après son retour en Suède, ne plus se faire appeler "madame" lui a d'ailleurs beaucoup manqué:
"Ce qu'il y avait de pire en revenant en Suède après cinq ans passés à Bruxelles, c'était qu'on ne m'appelait plus 'madame'. En tant que madame je me sentais comme une personne importante et intéressante. En Suède je suis devenue une banale femme entre deux âges parmi d'autres." (1)
Son séjour en Belgique, son intérêt pour la construction européenne et pour son pays d'accueil, mais aussi les scandales politiques et affaires criminelles de l'époque (2) l'ont incité à situer l'action de ses polars dans une petite ville belge imaginaire, Villette-sur-Meuse.

Cette ville est sensée se situer en Wallonie, quelque part entre Namur et Dinant. Une partie de l'action du roman se déroule également à Bruxelles.

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Les personnages

L'héroïne est francophone et se nomme Martine Poirot. Un nom lourd à porter pour un limier belge! "Madame Poirot" est juge d'instruction au palais de justice de Villette. Trois adolescentes sont assassinées durant les festivités de la Saint-Jean et "Titine" est chargée du dossier (voir plus bas: "L'intrigue").

Le lien avec la Suède est ténu: l'époux de Madame Poirot, Thomas Héger, est certes Suédois par sa mère mais il vit et exerce sa profession de professeur d'histoire médiévale en Belgique.

Les personnages féminins occupent le premier plan. Outre la juge d'instruction on trouve dans le roman une ancienne actrice qui réalise désormais des documentaires (la belle-soeur, Sophie Lind), une jeune femme qui a la ferme intention de se lancer dans la mode et réaliser ses propres vêtements (la nièce, Tatia Poirot - Tatia est un diminutif de Catherine), une femme flic que l'enquête va contraindre à affronter de mauvais souvenirs de jeunesse (Annick Dardenne), une jeune greffière qui se croyait bien intégrée dans la petite société de Villette mais qui verra se ranimer le racisme anti-tsigane lorsque son cousin sera -temporairement- soupçonné de meurtre (Julie Wastia).

À ces personnages du temps présent s'ajoutent deux femmes qui ne sont plus: Renée (mère de Martine et Philippe) et sa meilleure amie Simone Janssens. Toutes deux ont été internées dans un camp pendant la guerre, suite à une dénonciation. Renée est revenue, Simone non.

Une simple présentation des principaux personnages permet de voir que la famille est un élément très important du roman. Soit parce que les relations entre les uns et les autres sont parfois houleuses, soit parce que des événements concernant les parents ou grands parents ont des conséquences encore dans le présent (l'action se déroule durant le mois de juin 1994).

J'ai été quelque peu déçu par Martine Poirot. Peut-être à cause de l'ombre de l'immense Hercule... je l'ai trouvée quelque peu froide, pas particulièrement vivante, pas assez charnelle.

Plus intéressantes sont Tatia (la jeune "gothique" passionnée de mode, indépendante et rebelle mais qui aimerait bien que ses parents divorcés cessent de se faire la gueule) ou Sophie Lind, femme forte s'il en est, qui a toujours aimé les hommes (et a été aimée en retour) mais sans jamais se soumettre à quiconque.

J'ai également apprécié les recherches dans le passé (qui sont surtout le fait de Philippe, le frère de Madame Poirot), qui permettent -même sommairement- de rappeler le sort de la Belgique durant la Deuxième Guerre mondiale, le mouvement rexiste et Léon Degrelle, l'occupation nazie et la collaboration, l'épuration d'après-guerre.

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L'intrigue

C'est hélas le point faible du roman. Bien que certains personnages soient intéressants et qu'il y ait quelques bonnes idées, l'intrigue est trop linéaire et il est bien trop facile de deviner l'identité du meurtrier.

Petit résumé du début: nous sommes en juin 1994. La municipalité de Villette a invité de nombreux journalistes européens dans le cadre des traditionnelles festivités de la St-Jean. L'équipe du maire a en effet décidé de placer Villette dans la course pour le titre de "capitale culturelle européenne". Mais tard dans la nuit, alors que la ville fait encore la fête, trois jeunes filles sont assassinées sur une petite route alors qu'elles rentraient à pied à la maison. Les manchettes des journaux vont être bien différentes de ce qu'espéraient les édiles municipaux: Villette risque de devenir la capitale européenne du crime, surtout après qu'un des policiers chargés de l'enquête découvre une étrange similitude avec une scène de crime datant de 1982...

Pour ma part j'aurais bien aimé découvrir les débuts de Sophie Lind au cinéma, son mariage avec Eskil Lind (le réalisateur suédois qui a lancé sa carrière) puis son divorce, son parcours d'artiste; ou encore suivre la vie sentimentale mouvementée de Philippe, sa sortie du placard, les quelques années passées loin de sa fille, son rapprochement avec celle-ci, etc. Même Julie Wastia mériterait un développement, avec cette grand-mère maternelle (Marie) qui tenait un petit stand sur un marché de Villette et tirait les cartes à certaines clientes; son oncle Bruno qui vit très bien du trafic de voitures "d'occasion" et qui a acquis une vision très cynique de la société dans laquelle il vit; son cousin (Jean-Pierre) qui s'est engagé dans l'armée, a vécu -sous le drapeau de l'ONU- le drame du Rwanda et en a retenu un profond sentiment de honte et d'impuissance (3).

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Un avenir en français ?

Flickorna i Villette est-il un roman suédois?

C'est un roman écrit par une Suédoise, mais dont l'action se passe exclusivement en Belgique. Les thèmes abordés, bien qu'intéressants, n'ont rien de spécifiquement scandinaves, les héros non plus. La preuve: Martine Poirot n'est pas alcoolique, pas dépressive, elle n'est pas malheureuse en amour et sa famille n'est pas en miettes!

Plaisanterie mise à part, une traduction en français poserait un petit problème de marketing à l'éditeur: un polar suédois... en Belgique?

Peut-être faut-il simplement y voir un polar européen, écrit par une auteure qui visiblement se passionne pour l'Europe et s'intéresse aux cultures francophones (Roger Martin du Gard par exemple y est à l'honneur, si on peut dire: son œuvre maîtresse est en effet particulièrement prisée... par l'assassin).

Si seulement l'intrigue était plus solide et moins prévisible...


---NOTES---
(1) Det sämsta med att komma hem till Sverige efter fem år i Bryssel var att ingen längre kallade mig "madame". Som madame kände jag mig som en viktig och intressant person. I Sverige blev jag bara ännu en grå medelålders kvinna.

(2) L'affaire Dutroux s'est déroulée alors qu'Ingrid Hedström vivait encore en Belgique.

(3) L'auteure trace en quelques lignes une scène -j'ignore si elle est authentique- dans laquelle des soldats belges de retour au pays jettent de dépit leurs bérets bleus au sol.


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4 commentaires:

Soie a dit…

Il est comme cela des polars qu'on a du mal à classer. Pour le défi de littérature policière des cinq continents, je cherchais un auteur Australien et j'ai découvert par hasard Michael Robotham ... mais ses romans se passent en Angleterre. Et pour la même raison que pour le livre que vous présentez, il y a été journaliste d'investigation.
Auparavant j'avais tenté une lecture de Ngaio Marsh, Néo Zélandaise, mais là l'hsitoire s'est déroulée dans un univers restreint (un train, un théâtre et un hôtel), on ne peut pas dire qu'avec l'océanie j'ai vu beaucoup de pays ...sourire...

Paul Arre a dit…

Je ne connais pas cet auteur mais j'aime bien le début de sa bio sur son site perso:

"Born in Australia in November 1960, Michael Robotham grew up in small country towns that had more dogs than people and more flies than dogs. He escaped in 1979"

plus de chiens que d'habitants et plus de mouches que de chiens :-)

Soie a dit…

:-)
Du village où j'habite, on dit parfois qu'il y a plus de sangliers que d'habitants :-) (et je suis à 40 km de Paris !... sourire ...)

Paul Arre a dit…

Tiens, j'ai justement vu passer le dernier Robotham aujourd'hui: Traquées.

Il est arrivé tout récemment au Québec.