Le temps de la sorcière (titre original: Tími nornarinnar), Arni Thorarinsson, Éd. Métailié 2007, publié au format de poche chez Points en 2008; traduit de l'islandais par Éric Boury. Pour un récapitulatif de la série, voir ce billet.
Le "héros", Einar, est journaliste au Journal du Soir. Il a récemment été muté à Akureyri, la grande ville du nord du pays (1). La direction du journal espère augmenter ses ventes dans la région grâce à une meilleure couverture locale.
En compagnie de la photographe Joa, il va rendre compte des bagarres d'ivrognes du week-end, des accidents, des réunions municipales, de la vie culturelle de ce coin de pays.
Il va ainsi rencontrer Skarphedinn Valgardsson, un jeune homme charismatique qui a convaincu le lycée d'Akureyri de monter une pièce de théâtre, Loftur le sorcier. Quelques heures avant la première, Skarphedinn disparaît...
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"Au commencement était le désir"
"Au commencement était le désir"
La couverture nous assure qu'Arni Thorarinsson est "un brillant émule d'Indridason". Je me méfie beaucoup de ce genre de comparaisons...
J'étais néanmoins curieux de lire un autre auteur de polars islandais, et le blog de Nancy n'en disait pas du mal.
Le contraste avec Arnaldur est net. L'univers du commissaire Erlendur Sveinsson est plus intérieur, plus sombre que celui d'Einar. Arnaldur Indridason laisse une part beaucoup plus importante aux rêveries, aux souvenirs, aux paysages mélancoliques (et potentiellement dangereux).
Comme Erlendur, Einar est bien évidemment en contact direct avec les problèmes de ses contemporains: alcoolisme (lui-même a décidé de renoncer à l'alcool), drogues, dérives du capitalisme financier (le roman a été écrit quelques années avant la crise mondiale qui a frappé l'Islande de plein fouet, voir cet article et celui-ci publiés récemment sur le site cyberpresse), intrusion de l'anglais qu'Einar surnomme avec ironie "l'islandais moderne", etc. Mais contrairement au héros d'Arnaldur, Einar a les deux pieds dans l'Islande moderne, celle des villes. La lande et les champs de lave ne lui inspirent rien de spécial.
L'humour et l'ironie sont très présents; certains lecteurs penseront peut-être qu'Einar en fait un peu trop dans ce domaine - il ironise vraiment sur tout! Autre point positif, j'ai noté avec intérêt la présence d'une lesbienne parmi les personnages principaux (Joa, la pétulante photographe) ce qui est assez rare dans le monde du polar - y compris dans sa variante scandinave.
Hasard amusant: on trouve dans le roman une mention du "Marteau des sorcières, d'après Heinrich Kramer", ouvrage bien connu sous son nom latin Malleus maleficarum et dont il est abondamment question dans Last Rituals, d'Yrsa Sigurdardottir, une de mes récentes lectures.
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Puis-je vous appeler Dupont ?
Puis-je vous appeler Dupont ?
La grande difficulté dans ce roman d'Arni Thorarinsson, ce sont les noms (voir aussi le billet sur Last Rituals)... Einar rencontre énormément de monde, il en résulte une avalanche de Gunnhildur Bjargmundsdottir, Helgi Hamundarson (un électricien qui a droit à une réplique), Adalheidur Heimisdottir, Olafur Gisli quelquechosesson, Asdis Björk troudemémoiredottir, etc, etc. Les noms islandais sont peu connus chez nous d'où les inévitables confusions. Il faut par exemple se souvenir qu'Asbjörn est un collègue de travail d'Einar, tandis qu'Asbjörg est une jeune fille. Pas évident au début.
Ajoutons à cela que les Islandais ont recours aux abréviations affectueuses: Skarphedinn devient Skarpi (ok, jusque-là ça va); Gudmundur, Gummi; Olafur Gisli, Oligisli (je crois), Adalheidur, Heida, etc.
Le truc de base facile à retenir: ....son désigne un homme et ....dottir, une femme. Toujours. Ça aide beaucoup. Le traducteur a eu la très bonne idée de rédiger quelques notes fort utiles sur les points qui posent problème aux lecteurs.
En conclusion, Le Temps de la sorcière est un polar sympa, très branché sur les réalités islandaises. Je n'y ai pas retrouvé la sombre mélancolie que j'aime tant chez Arnaldur, mais Arni Thorarinsson a son propre style, ses propres centres d'intérêt, et c'est très bien comme ça.
---NOTES---
(1) À peine plus de 17.000 âmes, ce qui fait beaucoup dans un pays de 300.000 habitants. Voir un résumé (en anglais) de l'histoire d'Akureyri sur le site de la ville. Wikipedia propose une carte, des infos et des photos.