Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, Stieg Larsson, Actes Sud 2006, traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain.
Il m'en a fallu du temps pour me lancer à la découverte du continent Millénium... Au début je me disais "bah, je vais attendre de voir si ça plaît aux copains". Ensuite je suis passé à "bon, je vais attendre que la trilogie soit complète", puis à "mais il me faudrait trois semaines de vacances pour lire tout ça!"
Trois semaines de congés consécutives -payées- étant illusoires au Canada (ironie), étant donné par ailleurs que les films commencent à sortir et que je préfère lire un bouquin avant de voir son adaptation au cinéma, j'ai décidé de lâcher mes excuses bidons et de sauter le pas.
Je ne le regrette pas. Oh que non.
Puisque je dois être un des derniers à découvrir Millénium, je ne résumerai pas l'histoire. Si toutefois quelqu'un avait encore besoin d'une courte présentation de l'intrigue du tome 1 (sans spoilers) il pourrait par exemple consulter la 4e de couv' sur SkandiLit.
L'intrigue n'a rien de très original en soi, mais elle est très prenante. Comme j'avais pris soin de ne rien savoir de l'histoire -vu le succès mondial de Millénium j'ai du mérite- j'ai pu savourer chaque détour du roman, chaque révélation, chaque page.
Des critiques je n'avais retenu que deux choses: quelques vagues remarques désobligeantes sur la traduction. D'autres avis critiquaient l'absence d'action dans la première moitié du bouquin.
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Concernant la traduction je ne peux pas en dire grand-chose. Non seulement je n'ai pas lu l'original en suédois mais mon niveau ne me permettrait pas, de toute manière, de juger sérieusement la qualité du travail des traducteurs. À noter que le titre en suédois est un peu plus fort que la traduction française: Män som hatar kvinnor signifie littéralement Les hommes qui haïssent les femmes.
À part la présence d'un laid et irritant "solutionner" au lieu de "résoudre", le texte m'a semblé correct. Un petit regret peut-être: quelques notes de bas de page (ou un tout petit glossaire) auraient pu aider les lecteurs francophones. Le bouquin contient en effet des références à l'histoire ou à la politique suédoise. Des partis politiques sont parfois mentionnés au détour du récit, comme "les modérés" (il doit s'agir de Moderaterna, un parti de droite), ainsi que "le parti de la gauche" qui doit très probablement être Vänsterpartiet. Ces traductions littérales ne nous disent pas grand-chose. À titre de curiosité, le "parti de la gauche" n'est rien de plus que l'ex-parti communiste, qui s'appelait Vänsterpartiet - kommunisterna (vpk) jusqu'au début des années 90; la chute de l'URSS et un choix marketing ont eu raison du mot "kommunisterna". Son intitulé ronflant (le parti de gauche) reflète mal son caractère marginal (5.85% aux élections parlementaires de 2006, source Wikipedia).
Mais en toute franchise c'est du détail, de telles informations ne sont absolument pas nécessaires pour lire et apprécier le livre. Les hommes qui n'aimaient pas les femmes n'est pas un "polar politique".
Les références historiques seraient, elles, plus utiles. Stieg Larsson était un des fondateurs d'Expo, un magazine suédois spécialisé dans les mouvements d'extrême droite, fascistes, néonazis (le site du magazine consacre à l'auteur de Millénium une page hommage et souvenir). Ce n'est donc pas une grande surprise de voir la Ligue national-socialiste pour la liberté (p.96) ou le nazi Furugård (cf. Wikipedia) mentionnés dans le roman.
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Concernant la "longueur" ou l'absence d'action dans la première moitié du livre, je ne suis tout simplement pas d'accord. Les 276 premières pages (les chapitres Incitation et Analyse des conséquences) sont riches en informations. Certes, Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander (qui ne se connaissent pas encore) ne bondissent pas partout, pistolet au poing, mais ils sont tous les deux très occupés avec leurs problèmes et les énigmes qui commencent à se présenter.
Comme dirait Hercule Poirot, leurs petites cellules grises sont amplement sollicitées. Le lecteur a intérêt à être attentif car il va apprendre bien des choses non seulement sur la trame du récit (la famille Vanger, ses membres, ses querelles internes, la disparition de Harriet Vanger en 1966, le village de Hedeby, les rappels historiques, etc.) mais aussi sur le caractère des héros et leur manière de voir le monde.
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j'aime, j'aime moins
j'aime, j'aime moins
J'ai beaucoup aimé le déroulement de l'intrigue, y compris le rythme. L'apparente lenteur du début -à ne pas confondre avec une absence d'action- est non seulement nécessaire pour bâtir le cadre (aussi bien dans l'espace que dans le temps), elle est aussi extrêmement utile pour faire mieux comprendre au lecteur la situation d'Henrik Vanger. Le vieux patriarche est sans nouvelles de sa petite-nièce, Harriet, depuis plus de trente-cinq ans. Henrik reçoit chaque année d'un expéditeur anonyme une fleur séchée sous verre qui lui rappelle ce funeste 22 septembre 1966, mais l'enquête est depuis longtemps au point mort et le corps n'a jamais pu être retrouvé. Lorsque Blomkvist, à son tour, se heurte à l'énigme de cette disparition et semble ne faire aucun progrès nous partageons sa frustration. C'est un procédé plutôt habile.
J'ai aimé également le cocktail de secrets de famille, de faits historiques, le côté "mystère de la chambre close" à la taille d'une île (la petite île de Hedeby où résident plusieurs Vanger - l'île s'appelle Hedebyön, ce qui veut tout bonnement dire "l'île de Hedeby").
Du côté des personnages mon enthousiasme est plus mitigé.
Lisbeth Salander est incontestablement la carte maîtresse du roman. Elle est une énigme à elle toute seule. Elle est superbement travaillée et Stieg Larsson lui a sans doute consacré beaucoup de temps.
Le journaliste Mikael Blomkvist (surnommé Super Blomkvist par des collègues un peu jaloux) est, d'après moi, moins intéressant. L'auteur a eu l'idée malheureuse d'en faire une sorte de piège à filles (salut, Dutronc). Et toutes sortes de filles, s'il vous plaît: depuis la working woman Erika, jusqu'à une grande bourgeoise oisive de 56 ans, en passant par une jeune femme à problèmes tatouée et percée des pieds à la tête, elles tombent toutes sous le charme d'un Mikael plutôt blasé. J'ai frémi d'inquiétude lorsque Mikael croise le chemin d'Isabella Vanger. Bon sang, elle a plus de 70 ans tout de même! Mais Isabella est une des rares à ne pas craquer pour le bellâtre châtain. Ouf. J'ai par contre failli éclater de rire lorsqu'un homme, dans une scène pourtant pleine de tension, s'attaque au slip du très peu consentant Super Blomkvist! C'est un peu beaucoup pour un seul personnage... on n'est plus très loin de OSS 117 dans le Grand Nord.
Ces très courts passages qui semblent écrits par un adolescent n'occupent heureusement que quelques paragraphes sur un total de 575 pages.
Ce n'est là qu'un défaut, somme toute mineur, dans un pavé plein de bonnes surprises et de suspense. En prime la couverture est superbe, ce qui ne gâte rien. Un très bon polar.
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D'autres avis (que je peux désormais lire!)
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Kathel a bien aimé, sans plus. Soie en a fait un coup de cœur. Nancy est enthousiaste ("je dis chanceux! à ceux qui ne les ont pas encore lus! Des heures de plaisir à venir" - héhé! je fais partie des chanceux, il me reste encore les volumes 2 et 3).