Döden på en blek häst (
La Mort sur un cheval pâle), Amanda Hellberg, Éd. Forum, 2011, 315 pages.
Amanda Hellberg illustre -et parfois aussi écrit- des ouvrages pour la jeunesse.
Döden på en blek häst est son deuxième roman pour adultes. Le premier s'intitule
Styggelsen (
L'Abomination) et a été publié en 2008 par un petit éditeur du nord de la Suède, H:ström Text & Kultur (
site). C'est
Forum (l'éditeur de Camilla Läckberg parmi bien d'autres) qui s'occupe de ce deuxième roman.
Amanda Hellberg est suédoise mais vit et travaille en Angleterre depuis plusieurs années avec son mari et leurs deux enfants. L'action du roman se situe dans deux villes qu'elle connaît bien: à Oxford principalement ainsi que dans la ville balnéaire de Brighton.
C'est justement à Brighton que se déroule le prologue. Birgitta se lève de bon matin avec l'étrange certitude que cette journée sera sa dernière. Elle vaque à ses occupations, fait du ménage, poste une lettre, se lave les cheveux, paye scrupuleusement son loyer de la semaine, puis va passer la soirée avec des amis dans un bar situé sur le
Brighton Pier (une immense jetée accueillant de multiples attractions; on peut voir quelques photos sur
Wikipedia).
La nuit est bien avancée lorsque Birgitta quitte le bar. Elle est seule. Elle ne voit pas la silhouette qui descend du carrousel puis s'approche d'elle à pas feutrés. Mais elle sent que la mort vient, elle est prête et ne crie même pas lorsque le couteau la frappe.
L'histoire se poursuit avec la jeune Maja Grå (qui apparaissait déjà dans
Styggelsen). Maja est la fille de Birgitta. Elle n'avait plus reçu la moindre nouvelle de sa mère depuis l'âge de dix ans. Elle en a désormais vingt, est douée pour le dessin et vient d'être acceptée à l'université d'Oxford pour étudier l'illustration narrative. Elle y suivra notamment le cours du fringant professeur Leopold Chesterfield.
L'annonce de l'assassinat de sa mère trouble à peine l'existence solitaire de Maja (elle a perdu son père vers l'âge de douze ans). Après avoir supervisé les funérailles en Suède, elle fait un détour par Brighton avant de continuer sa route vers Oxford. Elle veut en effet rencontrer l'inspecteur King chargé de l'enquête et découvrir les lieux où a vécu Birgitta: la petite chambre qu'elle louait, le bar où elle a passé sa dernière soirée, le lieu du crime. Le lecteur découvre à cette occasion les étranges facultés de Maja. La jeune femme voit et ressent des choses qui sont invisibles au commun des mortels.
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L'ennemi est parmi nous
Döden på en blek häst se situe à la frontière entre le polar et l'histoire de fantômes. Même si le lecteur frissonne à la lecture de certains passages, il ne s'agit pas d'un récit d'épouvante. Voilà un bon roman pour ceux qui aiment avoir un petit peu peur, mais pas trop et surtout pas tout le temps!
Le paranormal, la médiumnité -involontaire dans le cas de Maja- ont une place importante dans l'histoire mais Amanda Hellberg ne se contente pas d'une seule corde à son arc (le critique du
Svenska Dagbladet a aimé le bouquin mais reproche à Hellberg -assez injustement selon moi- de ne pas parvenir à décider quel type de roman elle souhaite écrire).
Spectres mis à part, le séjour de Maja à Oxford est aussi l'occasion de découvrir le milieu estudiantin de la ville et particulièrement celui des étudiants en arts qui se destinent à la profession d'illustrateurs. Ce sont là des domaines et des lieux que connaît parfaitement l'auteure. Le lecteur suit Maja durant ses cours, s'intéresse à différentes techniques d'illustration (encre, crayon, pastel, aquarelle...), se promène dans les rues d'Oxford et arpente les couloirs lugubres de Mill Creek Manor, la résidence universitaire où est logée la jeune femme.
Elle y partage une chambre avec Nikita, une fille plutôt délurée qui prend Maja sous son aile. Ashley, l'incontournable dandy homosexuel, complète un trio qui devient vite inséparable. Les cours alternent avec les sorties, les fêtes, quelques beuveries, et bien sûr des réflexions sur l'art. Difficile de ne pas aimer ces étudiants, à la fois plein de doutes quant à leurs capacités et d'espoir en l'avenir.
Maja découvre par ailleurs -grâce à Ashley qui a un faible pour les commérages- le mystérieux "
massacre de Mill Creek Manor". Quatre étudiantes mortes dans un délai de vingt-quatre heures, des années auparavant. Elles logeaient toutes les quatre au même étage que Nikita et Maja. La cause du décès est inconnue; des rumeurs d'empoisonnement et de sorcellerie circulent... ainsi que quelques fantômes.
L'amour est un autre élément du récit; Cupidon va lancer ses flèches sur la froide et timide Maja... sauront-elles percer sa carapace?
Ces différents éléments ne sont pas jetés au petit bonheur la chance dans le but d'augmenter le nombre de pages. L'histoire est soigneusement tissée et l'on découvre au fur et à mesure la cohérence de l'ensemble.
À noter que le volet "paranormal" est très classique. Les fantômes se comportent d'une manière extrêmement convenue (si on peut affirmer une telle chose pour des fantômes...)
Mais dans un cadre tel qu'Oxford, doit-on s'étonner si même les revenants sont traditionalistes?
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La Mort sur un cheval pâle
Le titre du roman est inspiré par une peinture de Turner,
Death on a Pale Horse, qu'Amanda Hellberg a pu admirer à la Tate Gallery de Londres. Maja profite d'une excursion dans la capitale en compagnie d'Ashley et Nikita pour aller contempler l'œuvre:
Le prologue fait aussi écho au titre, lorsque l'assassin de Birgitta se glisse parmi les chevaux sculptés du carrousel avant de se diriger vers sa victime.
Dans le cours du récit le lecteur croise aussi le
Cerf blessé de Frida Kahlo.
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Un vocabulaire imagé et raffiné
Sa profession d'illustratrice inspire certainement Amanda Hellberg lorsqu'elle écrit. Tout d'abord parce qu'elle puise dans son expérience personnelle pour nourrir le récit (Oxford, les arts graphiques, les techniques propres aux illustrateurs, etc.) mais cela se perçoit aussi dans sa façon d'écrire.
Ma maîtrise du suédois est trop imparfaite pour porter un jugement définitif mais le vocabulaire m'a paru très recherché et varié (ce qui n'a pas facilité la lecture).
Les phrases sont travaillées et souvent très évocatrices. Lorsque Maja réalise par exemple que quelqu'un s'est glissé près d'elle pendant qu'elle rêvait devant le tableau de Turner, elle ne se contente pas de sursauter:
"En kall ilning jagar uppför min ryggrad och spricker ut till en isblomma i hårbotten", un frisson froid remonte le long de ma colonne vertébrale et s'épanouit telle une fleur de glace à la racine de mes cheveux.
Ma traduction ne rend pas justice à l'original, mais permet d'avoir une idée du "style Hellberg".
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Un bon point pour la couverture. Très réussie, elle se décline dans une belle palette de gris avec pour seule note de couleur une branche de muguet (fleur favorite de Birgitta).
Anecdote: je ne pouvais pas m'empêcher de visualiser le personnage d'Ashley sous les traits de
Chris Colfer, l'acteur qui interprète Kurt Hummel dans
Glee! Il me semble qu'il "colle" bien au personnage.
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Bientôt en français ?
La qualité et l'intérêt du récit justifieraient à mon avis une traduction, même si l'aspect "fantomatique" est très classique
.
Döden på en blek häst souffre peut-être du même "handicap marketing" que les romans d'Ingrid Hedström: l'auteur est scandinave, la langue d'origine est scandinave, mais l'intrigue ne se déroule pas en Scandinavie. Une fois traduit il sera difficile d'identifier ce livre comme un "polar nordique".
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Sources diverses
Amanda Hellberg,
le blog.
Entrevues:
The Crime House (en anglais!)
À propos du roman: de nombreux liens sur le site de
Svensk bokhandel (+
Dagens Nyheter)